Alors que l’émissaire présidentiel américain Tom Barrack multiplie les allers-retours entre Beyrouth et les capitales régionales, et que les négociations syro-israéliennes avancent discrètement, le Liban semble pris dans une nouvelle forme d’« annexion et redistribution » à la fois politique et géographique. Cette dynamique ravive des revendications historiques oubliées, sur fond d’un paysage libanais fragile et de tensions régionales et internationales croissantes.

La campagne a commencé par des fuites attribuées à des proches du président syrien transitoire Ahmad Al-Sharaa, exprimant le souhait de « récupérer » le Nord du Liban et la plaine de la Bekaa, territoires considérés comme historiquement syriens et « arrachés » lors du mandat français. Dans le même temps, Barrack a lancé un avertissement : le Liban risquerait de « retomber dans le giron de la Grande Syrie » s’il ne traitait pas la question de l’arsenal du Hezbollah.

Abandonnant la diplomatie feutrée qu’il avait adoptée à Beyrouth, Barrack a durci le ton, avertissant que le Liban « risque de tomber sous le contrôle de puissances régionales » s’il ne s’attaque pas à l’arsenal militaire du Hezbollah, qualifiant la question d’« existentielle ». Il a souligné que les États-Unis, l’Arabie saoudite et le Qatar étaient prêts à aider, à condition que le Liban prenne l’initiative du désarmement.

De son côté, le président Joseph Aoun continue d’affirmer que « la décision de confier le monopole des armes à l’État a été prise et est irréversible ». Il a précisé que cette mesure serait appliquée de manière à préserver la sécurité nationale et l’unité du pays. Ce message s’adressait notamment aux factions palestiniennes, qui avaient accepté — à travers un accord entre Aoun et le président palestinien Mahmoud Abbas — de remettre leurs armes à l’État libanais le mois dernier. L’accord a échoué à cause de divisions internes palestiniennes.

Il est important de noter que les propos d’Aoun ne visaient pas le Hezbollah, dont les armes font l’objet d’un dialogue national en vue de leur intégration dans une stratégie globale de sécurité. Le Hezbollah, de son côté, a remis à Barrack, via le président du Parlement Nabih Berri, un document séparé détaillant sa position. Selon Mahmoud Qomati, cadre dirigeant du parti, la principale exigence est la mise en œuvre complète du cessez-le-feu avant toute discussion supplémentaire.

L’impasse militaire

Sur le plan militaire, l’armée libanaise est confrontée à une crise de financement majeure. Alors qu’elle recevait annuellement 250 millions de dollars d’aide américaine ces deux dernières années, ce soutien a été suspendu. Ce déficit budgétaire menace les capacités de l’armée dans le sud et le nord du pays, ainsi que le travail des forces de la FINUL déployées dans le cadre de la résolution 1701 de l’ONU.

Barrack a révélé que les tentatives américaines de mobiliser des fonds de remplacement auprès des alliés du Golfe ont échoué, ces derniers exprimant leur méfiance après que des aides précédentes aient, selon eux, été détournées par des dirigeants corrompus.

Le spectre d’un scénario noir

Si aucun accord n’est trouvé entre le Liban et Israël, le pays pourrait être confronté à un scénario catastrophe :

Non-renouvellement du mandat de la FINUL : Faute de financement et sur fond de désaccord entre l’Union européenne — favorable à une solution à deux États — et Israël, qui la rejette, la mission pourrait ne pas être prolongée après août. Des pays comme la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et les Pays-Bas, qui y participent activement, seraient directement concernés.

Un accord de paix syro-israélien ? : Le 9 septembre, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU à New York, un sommet pourrait réunir le président syrien Ahmad Al-Sharaa et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, sous l’égide de Donald Trump. Un « accord de paix historique » pourrait être annoncé. L’accord serait en cours de finalisation lors de négociations secrètes à Bakou (Azerbaïdjan), à la suite d’une rencontre récente entre Al-Sharaa et le conseiller israélien à la sécurité nationale Tzachi Hanegbi, tenue aux Émirats arabes unis.

Si un tel accord voyait le jour, le Liban risquerait d’être marginalisé, tant sur le plan politique qu’économique, notamment en ce qui concerne la reconstruction de la Syrie.

Pour Barrack, le message est clair : le Liban doit dialoguer directement avec Israël — « les médiations sont inutiles, seul un engagement bilatéral a du sens ».

Perceptions changeantes

Le Liban doit aussi faire face à un changement de perception : certains États du Golfe et responsables syriens considèrent de plus en plus Beyrouth comme alignée sur l’« axe de la résistance » mené par l’Iran. Certains officiels syriens, nourris d’un ressentiment envers le Hezbollah, commencent à voir le Liban comme un « État hostile ». Ils s’étonnent également que le président Aoun ait visité plusieurs capitales arabes et occidentales sans se rendre à Damas.

Un signal subtil venu de Syrie ?

Un développement révélateur de l’orientation américaine en Syrie et au Liban est survenu lorsque les Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par les États-Unis — et issues du PKK — ont accepté de se désarmer. Cela est arrivé peu après le départ de Barrack vers Damas, où il a réuni Al-Sharaa et le commandant des FDS, Mazloum Abdi.