Malgré la souplesse affichée par le président libanais, « Hezbollah » refuse toujours de s’engager à remettre ses armes ou à les placer exclusivement entre les mains de l’État. Le mouvement prend en compte l’ensemble des dynamiques régionales — la guerre entre Israël et l’Iran, le conflit toujours en cours à Gaza, l’occupation et les attaques israéliennes au Liban, ainsi que l’instabilité grandissante en Syrie — pour forger sa position.
Lors des discussions sur la réponse officielle du Liban à la proposition américaine, « Hezbollah » a volontairement gardé profil bas. Il ne souhaite pas s’engager dans un nouvel accord ni formuler de promesses qui pourraient être interprétées ou instrumentalisées par Israël. Dans les négociations officielles, le groupe a rejeté le terme de « désarmement » et lui a préféré l’expression plus vague de « mise des armes sous autorité de l’État ». Il a également insisté pour inscrire toute discussion dans le cadre d’une « stratégie de défense nationale », un concept aussi flou que complexe à mettre en œuvre.
La divergence de vues entre l’État et « Hezbollah » sur la question des armes est profonde. Pendant la guerre, le groupe a accepté à contrecœur un cessez-le-feu, sous la menace d’un retrait des négociateurs et d’un abandon de la banlieue sud de Beyrouth à son sort. Le président du Parlement Nabih Berri a accepté l’accord en s’appuyant sur des garanties américaines, censées contraindre Israël à le respecter. Mais ce dernier n’a jamais procédé au retrait attendu et a continué à cibler « Hezbollah » avec une couverture américaine tacite. Cette expérience amère a convaincu le groupe qu’aucun nouvel accord ne doit être signé sans gestes concrets au préalable : retrait israélien et fin des hostilités.
Dans les échanges, « Hezbollah » a exigé des garanties solides pour empêcher Israël de renouveler ses violations. Le groupe s’est montré très sceptique vis-à-vis de la proposition de l’envoyé américain Tom Barrack, qui prévoit un désarmement progressif en échange de retraits israéliens par étapes : livraison des armes lourdes en échange d’une première concession, puis des drones contre une autre, et ainsi de suite. « Hezbollah » a jugé cette formule insuffisante, y voyant un moyen pour Israël d’obtenir par la diplomatie ce qu’il n’a pu imposer par la guerre.
Malgré les pertes humaines et la pression croissante au sein de sa base, « Hezbollah » considère toujours ses armes comme une ligne rouge. Il refuse tout compromis tant qu’il n’existe pas de véritables garanties régionales.
La question des armes a désormais franchi les frontières libanaises pour s’imposer comme un enjeu central dans les négociations entre Washington et Téhéran. Elle constitue également un levier dans les pressions américaines sur Beyrouth visant à assurer la sécurité d’Israël. « Hezbollah » rejette catégoriquement tout dialogue direct avec les États-Unis, invoquant une méfiance fondée sur des expériences passées. Même la tonalité initialement perçue comme constructive chez Barrack s’est rapidement effondrée après une analyse plus poussée : aux yeux de Washington, « Hezbollah » reste une organisation terroriste, même s’il est considéré au Liban comme un parti politique ou un mouvement de résistance. De plus, Barrack n’a donné aucune garantie sur l’engagement d’Israël à respecter un cessez-le-feu. Son avertissement a été sans détour : si le président Donald Trump perd patience, le Liban sera abandonné à son sort — c’est-à-dire à Israël — et sommé d’adhérer à la dynamique de normalisation régionale, à l’image du président syrien Ahmed Al-Charaa, sans poser de conditions.
À ce jour, aucun consensus n’existe entre l’État libanais et « Hezbollah » sur la question des armes. Tandis que l’État plaide pour la remise des armes lourdes afin de renforcer sa légitimité internationale, « Hezbollah » refuse catégoriquement et conditionne toute discussion à un dialogue sur la stratégie de défense, même bilatéral avec la présidence.
La présidence, de son côté, tente d’éviter un affrontement avec « Hezbollah », préférant un dialogue apaisé. Mais la proposition de Barrack — et la réponse libanaise qui s’en est suivie — risquent d’ouvrir une nouvelle crise interne. Barrack a exigé une position gouvernementale claire en faveur du monopole étatique sur les armes. « Hezbollah », quant à lui, considère qu’il n’est pas nécessaire de soumettre cette réponse au vote du gouvernement, car la question a déjà été évoquée dans la déclaration ministérielle. Ce désaccord révèle un début de fracture institutionnelle.
Rarement la question des armes de « Hezbollah » n’a été abordée avec autant de sérieux et de prudence. Le groupe sait que les manœuvres dilatoires ne fonctionnent plus. C’est ce qui l’a poussé à entamer un dialogue avec la présidence du Parlement. Des signes avant-coureurs de cette évolution sont déjà perceptibles : les services de Berri ont rédigé une feuille de route pour un retrait progressif que « Hezbollah » a validée, et celle-ci a été jointe à la réponse présidentielle à la proposition de Barrack.
Alors que l’État cherche à établir un consensus avec « Hezbollah » sur les étapes internationales liées aux armes, le groupe conditionne sa position à des garanties régionales. Il prévient que tout désarmement risquerait de l’isoler et de le fragiliser — pris en étau entre une Syrie en voie de normalisation et une Israël soutenue militairement et politiquement par les États-Unis.
« Hezbollah » affirme être prêt pour une nouvelle guerre si elle devait lui être imposée, mais il refuse de faire des concessions sur un dossier aussi sensible. Tout au plus, il accepte d’entrer dans un dialogue sur la « stratégie de défense », en sachant pertinemment que cette formule reste peu audible sur la scène internationale.
L’incertitude reste entière, d’autant plus avec l’avertissement de Barrack : si le Liban ne répond pas aux attentes, il sera livré à son sort. Dans un contexte régional en pleine mutation, une question demeure : le Liban sera-t-il abandonné à lui-même ? Et « Hezbollah » relancera-t-il une guerre pour compenser sa perte d’influence et reconquérir sa place sur la scène intérieure ?