Le Moyen-Orient est une arène géopolitique vitale où une marginalisation profonde est venue remplacer la domination historique de l’Europe. Malgré laproximité géographique, des relations commerciales étendues, des liens culturels et des enjeux sécuritaires directs, l’Union européenne (UE) et ses États membres ressemblent de plus en plus à des spectateurs dans une région qu’ils ont autrefois façonnée.
Héritage colonial, déclin après la Seconde Guerre mondiale
Les puissances européennes, notamment la Grande-Bretagne et la France, ont façonné le Moyen-Orient moderne sur les ruines de l’Empire ottoman après la Première Guerre mondiale, imposant des frontières et des régimes clientélistes. La Déclaration Balfour de 1917 symbolise ce rôle interventionniste. Cependant, la désastreuse crise de Suez de 1956, où les États-Unis et l’Union soviétique ont forcé le retrait anglo-français après leur invasion de l’Égypte, a marqué la fin humiliante de l’influence impériale directe et l’avènement de la domination des superpuissances. L’Europe n’a pas su transformer l’administration coloniale en partenariats postcoloniaux durables.
Levier économique, normes incohérentes
À la fin du XXe siècle, l’Europe s’est tournée vers le soft power : devenant le premier partenaire commercial d’Israël, le principal donateur des Palestiniens et un ardent défenseur de la solution des deux États, formellement soutenue dans la Déclaration de Venise de 1980. Des initiatives comme le Partenariat euro-méditerranéen (PEM) et la Politique européenne de voisinage (PEV) visaient à promouvoir la stabilité par les normes et l’intégration économique. Cependant, ces politiques se sont révélées inefficaces, n’abordant pas les causes profondes des conflits, privilégiant souvent la stabilité au détriment de la réforme démocratique et manquant de mécanismes d’application. L’Europe n’a pas su utiliser son poids économique de manière cohérente à des fins politiques. Sa crédibilité a souffert des doubles standards perçus, condamnant vigoureusement l’invasion de l’Ukraine par la Russie tout en critiquant timidement la destruction israélienne de Gaza.
Marginalisation accélérée
Les erreurs de l’Europe ont donc aggravé le déclin de son influence. L’invasion de l’Irak en 2003 a divisé l’UE (Royaume-Uni/France contre Allemagne), exposant la désunion dans les choix de politique extérieure. Les réponses au Printemps arabe de 2011 ont manqué de cohésion : la France et la Grande-Bretagne ont aidé à renverser Kadhafi en Libye sans un plan de stabilisation, plongeant le pays dans le chaos. Les tentatives de diplomatie indépendante, comme l’E3 (France, Allemagne, Royaume-Uni) pour l’accord nucléaire iranien, ont été sapées par le retrait américain sous Trump et le rétablissement des sanctions. Les efforts de médiation de l’Europe dans les conflits comme Israël-Hamas ont été ignorés, et son aide humanitaire à Gaza n’a pas permis d’exercer une influence politique. L’Europe manquait cruellement d’une capacité de projection de sa puissance, tandis que des rivaux comme la Russie intervenaient militairement en Syrie, et la Turquie envoyait des troupes en Syrie, en Libye et en Irak, comblant les vides. Les frappes aériennes américaines de 2025 sur les installations nucléaires iraniennes, menées sans consultation des alliés européens engagés dans une diplomatie de dernière minute avec l’Iran, ont illustré l’inefficacité de l’Europe sur les questions de sécurité fondamentales.
Déclin d’influence
Des contraintes structurelles ont contribué à l’érosion de l’influence de l’UE :
- Désunion interne : Le facteur le plus paralysant est l’absence de position cohérente. Les États membres privilégient les intérêts nationaux et les liens historiques. Certains pays sont pro-israéliens (Allemagne, Autriche, Hongrie, Pays-Bas), d’autres pro-palestiniens (Irlande, Espagne, Belgique), et un troisième groupe se veut médiateur (France).
- Déficit de puissance offensive: Les capacités de défense européennes sont fragmentées, sous-financées et dépendent des États-Unis via l’OTAN. La France et le Royaume-Uni disposent d’une capacité expéditionnaire limitée et sont sollicités ailleurs (Ukraine, Indo-Pacifique). L’Europe manque de pouvoir de dissuasion crédible ou de capacité offensive sans le soutien de Washington.
- Concurrence de puissances régionales et mondiales agiles : La Russie, la Turquie, l’Iran et la Chine ont comblé le vide laissé. La Russie est intervenue en Syrie, la Turquie militairement en Syrie, Libye, Irak, la Chine via les Nouvelles Routes de la Soie et la médiation Iran-Arabie saoudite.
- Dépendances énergétiques et craintes économiques : Le besoin de diversification énergétique renforce le levier d’Israël (gaz) et des États du Golfe, rendant Bruxelles hésitant à faire pression sur les droits humains ou les conflits.
Quel rôle reste-t-il à l’Europe ?
Malgré son déclin, l’Europe fait face à des intérêts impérieux qui exigent son engagement : l’un des rôles les plus importants que l’Europe pourrait jouer serait de soutenir la solution des deux États et de tenter de la faire avancer, malgré le glissement de la société israélienne vers la droite. Après tout, l’UE reste le principal donateur humanitaire pour les Palestiniens (€193 millions en 2024) et pour le Liban (plus de €104 millions). L’Europe peut renforcer son impact en exigeant un accès sans entrave et un suivi pour garantir la distribution de l’aide, et en liant le financement de la reconstruction à long terme (pour Gaza) à des processus politiques concrets et à des réformes de gouvernance. Une reconnaissance massive de la Palestine par des États clés de l’UE (comme l’Allemagne et la France) pourrait modifier les dynamiques. Parallèlement, l’UE doit mettre en place des sanctions ciblées contre les colons israéliens impliqués dans des actes de violence et les responsables qui les incitent, ainsi que contre les dirigeants du Hamas.
Cependant, l’UE doit d’abord « mettre de l’ordre dans la demeure» face à l’émergence d’un mouvement nationaliste dans plusieurs de ses États membres. Si cette tendance se poursuit, l’UE pourrait être contrainte d’adopter la politique de « l’Europe d’abord » .