Au milieu des secousses politiques qui ébranlent le sol fragile du Moyen-Orient, et des luttes idéologiques, politiques et religieuses qui n’en finissent pas de déchirer la région, le Liban s’apprête à accueillir un invité historique. Cela intervient après la reconnaissance internationale de l’État de Palestine et dans l’ombre de l’arrogance israélienne — matérialisée par des guerres menées contre Gaza, le Liban, la Tunisie, le Yémen, l’Irak et même le Qatar.
Un an s’est écoulé depuis la formation d’un nouveau gouvernement au Liban, qui peine toujours à s’affirmer. Dans ce contexte, les déclarations de l’émissaire américain Tom Barrack — considérées par beaucoup comme un feu vert donné à Israël pour relancer sa guerre contre le Liban — ont attisé les craintes. Il a critiqué la réticence des autorités libanaises à mettre en œuvre leur plan visant à placer toutes les armes sous le contrôle exclusif de l’État. S’y ajoutent les débats sur la fin des accords de Sykes-Picot et les appels à redessiner entièrement la carte régionale : l’heure est périlleuse.
C’est dans cette atmosphère tendue que le pape Léon XIV a choisi le Liban pour son premier déplacement à l’étranger depuis son élection, le 8 mai. Sa visite de trois jours, du 30 novembre au 2 décembre, s’inscrit dans une tournée plus large incluant la Turquie à l’occasion du 1700ᵉ anniversaire du concile de Nicée de 325, qui donna naissance au credo de Nicée et affirma l’orthodoxie chrétienne face à l’arianisme. Pour de nombreux Libanais, ce voyage papal dépasse le protocole : il incarne une lueur d’espoir.
Une histoire de pas papaux
Ce ne sera pas la première présence d’un souverain pontife sur le sol libanais. En mars 1964, le pape Paul VI s’était arrêté à l’aéroport de Beyrouth moins d’une heure lors d’un voyage vers l’Inde, livrant un message de paix et exprimant son souhait de voir le Liban en sécurité. En mai 1997, Jean-Paul II remit aux Libanais l’exhortation apostolique « Une espérance nouvelle pour le Liban », dans laquelle il décrivit le pays comme « plus qu’une nation, un message de liberté et de coexistence entre musulmans et chrétiens ». En septembre 2012, Benoît XVI signa une autre exhortation apostolique, cette fois pour l’Église au Moyen-Orient. Quant à François, sa visite prévue en octobre 2022 fut annulée en raison d’incidents protocolaires et d’obstacles politiques.
Quel Liban le pape visitera-t-il ?
La question se pose : quel Liban le pape Léon XIV découvrira-t-il ? Le Liban lié depuis 1920 par des relations étroites avec le Vatican, et en particulier avec l’Église maronite, dont les patriarches n’assurent pleinement leur charge qu’avec l’aval pontifical ? Le Liban qui s’est longtemps enorgueilli d’être un phare de paix et de coexistence islamo-chrétienne, un pont culturel et religieux en Orient, un laboratoire de diversité ?
Cette identité est aujourd’hui menacée. Les bouleversements rapides qui secouent la région pourraient rouvrir le dossier Sykes-Picot, remodeler les États, les frontières et même les démographies. Certains responsables redoutent que le Liban soit pris dans la tourmente, ravivant l’adage : « Le Liban est trop grand pour être avalé, trop petit pour être divisé. » D’autres répliquent que l’existence du pays n’est pas négociable : « S’il doit y avoir un changement, qu’il se fasse ailleurs — pas au Liban. Malgré leurs divisions, les Libanais restent unis dans leur attachement à ce pays comme patrie définitive. »
Des nuages à l’horizon
Les sceptiques jugent ces inquiétudes exagérées, mais l’attitude d’Israël raconte une autre histoire. Beaucoup estiment qu’il cherche à dominer l’ensemble du Moyen-Orient, avec le soutien des États-Unis, en éliminant toute résistance. L’effondrement de la Syrie après la chute du régime Assad a accentué la vulnérabilité du Liban. Les frappes israéliennes — qui ont même atteint le Qatar — témoignent d’une agressivité sans frein. L’émir du Qatar a d’ailleurs mis en garde contre une tentative israélienne de provoquer une guerre civile au Liban afin de faciliter son éclatement.
Les propos de Tom Barrack n’ont fait qu’alimenter ces craintes. Il a affirmé qu’Israël ne se retirerait pas de ses positions occupées au Sud-Liban, accusé le Hezbollah et l’Iran d’être des ennemis jurés, et placé sur le gouvernement libanais la responsabilité du désarmement du Hezbollah — en dépit du risque d’une guerre civile. Le Premier ministre Nawaf Salam a publiquement minimisé ces déclarations, tandis que le président Joseph Aoun a demandé des explications au secrétaire d’État américain Marco Rubio à New York. Mais pour les Libanais ordinaires, ce discours rouvre les plaies de leurs pires angoisses.
Il y a quelques jours à peine, des bombardements israéliens ont tué un père de famille de la lignée Sharara et trois de ses enfants à Bint Jbeil. Son épouse reste en soins intensifs, leur fille survivante luttant entre la vie et la mort. Même les réunions onusiennes de Naqoura pour maintenir le cessez-le-feu n’ont pas arrêté la violence.
Entre espoir et crainte
Le temps presse. Le Liban aurait jusqu’à la fin de l’année — ou au début de l’an prochain — pour appliquer son plan de monopole des armes, faute de quoi Israël pourrait agir seul. Dans ce climat d’incertitude, beaucoup de Libanais placent leurs espoirs dans l’arrivée du pape Léon XIV.
Un vieil homme, témoin des trois visites pontificales précédentes, a résumé à la fois l’attente et l’angoisse. Interrogé sur cette venue, il a lâché avec une pointe d’humour : « Prions pour que Sa Sainteté ne vienne pas administrer l'extrême-onction au Liban que nous connaissons. »
Prière de partager vos commentaires sur:
comment@alsafanews.com