L’opération israélienne dans la localité syrienne de Beit Jinn a ravivé les doutes quant à la possibilité d’un cessez-le-feu entre Israël et le régime syrien, malgré le récent rapprochement entre le chef de ce régime, Ahmad Al-Charaa, et le président américain Donald Trump.
Il est clair qu’Israël ne fait pas confiance à Damas, en dépit de toutes les assurances envoyées par ce dernier depuis l’arrivée au pouvoir de sa nouvelle direction il y a près d’un an. Le gouvernement le plus radical de l’histoire d’Israël a lancé une politique graduelle visant à frapper le nouveau régime — d’abord par voie aérienne, puis à travers des incursions terrestres, jusqu’à l’imposition d’un nouveau fait accompli dépassant la Syrie et reflétant la vision régionale plus large de ce gouvernement.
Il n’est donc pas surprenant qu’Israël cherche à maintenir l’escalade, d’autant qu’elle ne rencontre pratiquement aucune résistance significative.
L’incident de Beit Jinn — une ville de Quneitra ciblée par l’armée israélienne, où 20 personnes ont été tuées, plusieurs civils blessés et six soldats israéliens touchés — s’inscrit dans la campagne israélienne continue au nord contre les groupes armés issus de la nouvelle structure de pouvoir syrienne.
Cette fois, ces factions sont désignées sous le nom de « groupe islamique ». Israël adoptera sans doute d’autres appellations à l’avenir, puisqu’elle entend poursuivre ces opérations sous diverses formes, surtout à l’approche d’une année électorale intérieure féroce. Les attaques politiques contre le Premier ministre Benyamin Netanyahou se multiplient, parallèlement aux pressions de la droite et des colons, alors que Netanyahou fait face à ses propres crises — notamment sa demande de grâce présidentielle dans des affaires internes et le mandat d’arrêt émis contre lui par la Cour pénale internationale.
Ces pressions expliquent l’attitude régionale de plus en plus agressive de Netanyahou, sa tentative d’instaurer une équation de dissuasion durable sur le front nord, d’empêcher tout enracinement armé près du Golan, et de priver Al-Charaa de toutes ses cartes d’influence.
Ce faisant, Netanyahou rejette implicitement tout accord imminent avec Damas — qu’il soit sécuritaire ou politique — à moins qu’il ne corresponde à des conditions que la Syrie est incapable de satisfaire.
Sa formule repose sur la répression et la dissuasion de l’adversaire, sans basculer dans une guerre totale, même s’il pourrait y recourir si la situation l’exige.
Après l'affrontement à Beit Jinn, Israël a averti qu’elle n’accepterait pas une nouvelle équation de confrontation. Elle a poursuivi ses incursions, l’aviation jouant un rôle central dans les frappes contre un régime que Tel-Aviv considère comme un système jihadiste sous couvert civil.
La logique de Netanyahou renforce l’idée que la Syrie demeure un terrain fragile et instable, rendant impossible tout accord ou compréhension politique à ce stade.
Un soutien intérieur massif
Il convient de noter que la campagne « défensive » décrite par Netanyahou le long des fronts syrien et libanais bénéficie d’un large soutien au sein d’Israël. Elle s’aligne sur les « arguments sécuritaires » traditionnellement utilisés par l’armée pour justifier son déploiement massif sur les pentes orientales du Golan occupé.
Israël s’est pratiquement retiré de l’accord de désengagement signé avec la Syrie en 1974 et a effectué la première grande percée terrestre en territoire syrien depuis la guerre d’octobre 1973, à travers des opérations aériennes et terrestres répétées.
Cet accord prévoyait un contrôle israélien à l’ouest de la ligne de désengagement — à l’exception de Quneitra — et un contrôle syrien à l’est, avec une zone tampon administrée par l’ONU entre les deux. Les forces onusiennes l’ont surveillée jusqu’à l’effondrement du régime Assad. Après cet effondrement, Israël a annoncé le 8 décembre 2024 l’annulation de l’accord, invoquant le retrait de l’armée syrienne.
Israël a baptisé ses incursions « Opération Flèche de Bashan », visant à s’emparer de la zone tampon. Le gain stratégique le plus important fut le mont Hermon, culminant à 2 800 mètres, offrant à Israël une vaste capacité de surveillance de la frontière syro-libanaise. Cette avancée a permis à Israël de relier ses points de contrôle entre Quneitra et le mont Hermon, un lieu d’« importance sécuritaire majeure ».
Israël a ensuite créé une nouvelle zone tampon s’étendant de la banlieue de Damas à celle de Deraa, en plus d’imposer une zone d’exclusion aérienne élargie, portant la superficie totale sous contrôle ou influence israélienne directe à environ 500 kilomètres carrés.
Cette expansion place Damas dans une position délicate, l'empêchant de conclure quelque accord que ce soit.
Les Druzes et les minorités : un prétexte commode
La question druze est devenue un argument majeur pour justifier la campagne de Netanyahou et dépeindre Al-Charaa comme impuissant. En Israël vivent environ 120 000 Druzes, dont beaucoup servent dans l’armée. Ils entretiennent des liens familiaux et religieux avec les Druzes de Soueida. Israël s’est ainsi présentée comme leur protectrice, affirmant les avoir « sauvés » de massacres après des attaques meurtrières dont le gouvernement syrien s’est dédouané.
Israël a demandé l’ouverture d’un corridor humanitaire vers Soueida pour livrer de l’aide. Les appels à la sécession druze se sont intensifiés, et Israël réclame désormais la protection de toutes les minorités — y compris les Alaouites, Kurdes et chrétiens — donnant à Netanyahou l’image d’un sauveur pour certains Syriens.
Le régime syrien, quant à lui, alimente cette dynamique par une instabilité persistante, des agressions répétées et des assassinats — bien que Damas en nie la responsabilité — qui continuent dans les régions druzes, alaouites, chrétiennes et chiites. Parallèlement, un affrontement avec les forces kurdes semble inévitable.
Quant à Al-Charaa, il risque son image et sa « légitimité » aux yeux des Syriens. S’il impose la loi aux factions jihadistes, il apparaîtra comme un exécutant des volontés occidentales ; s’il ne le fait pas, il se révèle incapable de défendre le pays face aux incursions israéliennes.
D’où la question centrale : jusqu’à quand le président américain Donald Trump pourra-t-il empêcher l’escalade, surtout sachant que la Turquie est un parrain essentiel de l’ascension et de la consolidation du régime à Damas ?
En réalité, tandis que l’administration Trump a adopté Al-Charaa comme un partenaire pragmatique capable de stabiliser la Syrie, de contenir les menaces extrémistes — notamment Daech — et d’amener un ancien État de « l’axe du mal » dans l’orbite occidentale, Israël voit en son arrivée un risque majeur pour sa sécurité nationale. Les responsables israéliens soutiennent qu’il n’existe aucun exemple dans l’histoire du Moyen-Orient où un mouvement islamiste extrémiste se serait amélioré après avoir pris le pouvoir.
Ces dernières semaines, Washington est parvenue à contenir l’escalade entre Damas et Tel-Aviv. Le silence des responsables israéliens après l’opération de Beit Jinn reflète leur volonté de ne pas contrarier les Américains.
Mais cela pourrait n’être que temporaire. Les divergences pourraient réapparaître, notamment si Israël affirme — comme elle l’a déjà fait — que sa proximité du terrain lui donne une lecture plus précise de la réalité, comme lors du bombardement de Damas.
En fin de compte, le pari israélien demeure fondé sur la fragilité de l’unité syrienne et la possibilité d’un futur conflit menant à une guerre civile et à une fragmentation géographique — un scénario où les États-Unis pourraient se retrouver impuissants devant un fait accompli impossible à modifier.
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