Le Souverain Pontife, le pape Léon XIV, est arrivé dans le pays des Cèdres — meurtri par des défis existentiels, des crises profondes et des politiques stériles fondées sur la dissimulation mutuelle. Notre pays, entraîné il y a deux ans dans la guerre dite de « l’unité des fronts », est devenu un terrain ouvert aux agressions militaires israéliennes et aux bravades incitatrices de l’Iran. La destruction le ronge, après que les crises politiques, financières et économiques l’ont épuisé jusqu’au bord de l’effondrement. Et voilà que notre nation mène une course contre un temps mortel, tandis que s’intensifient les tambours de guerre et se multiplient les messages directs et indirects annonçant que la fin de cette année constitue la date limite ultime pour régler définitivement la question de l’armement du Hezbollah — qu’il soit au nord ou au sud du Litani. Tout cela survient alors que le Moyen-Orient traverse une profonde mutation après le « 7 octobre », une secousse qui en transformera assurément le visage.
Le pape, arrivé sous la bannière « Heureux les artisans de paix », connaît parfaitement cette réalité nationale libanaise et la souffrance des chrétiens d’Orient. Mais surtout, il a entamé sa visite dimanche dernier en posant le doigt sur la plaie la plus profonde et la plus dangereuse, déclarant depuis le palais de Baabda : « Il existe des blessures personnelles et collectives qui nécessitent de longues années — parfois des générations entières — pour guérir. Si elles ne sont pas traitées, si nous ne travaillons pas à purifier la mémoire et à rapprocher ceux qui ont subi l’injustice ou la violence, il sera difficile d’avancer vers la paix. Nous resterons alors immobiles, chacun prisonnier de sa douleur et de sa propre vision des choses. »
Les paroles du pape Léon résument l’essence même du problème : la guerre civile libanaise — et les guerres menées par d’autres sur le sol libanais — se sont achevées en 1990 sur des bases fragiles, sans jamais oser affronter les résidus. Au lieu de panser les blessures, on les a rouvertes — voire malmenées — en consacrant la logique du « vainqueur et du vaincu » et en imposant un traitement inégal entre les composantes du pays. À titre d’exemple, le ministère des Déplacés, chargé de mener les réconciliations dans les villages et de distribuer les indemnisations via le Fonds des déplacés, en est devenu la preuve la plus flagrante, tant le clientélisme politique en a façonné les critères. Certains ont reçu bien plus que ce qu’ils méritaient, tandis que d’autres n’ont jamais été indemnisés et ont vu leur dossier classé. Quant aux martyrs, blessés et anciens détenus, certains ont été accusés de trahison et abandonnés à leur sort, alors que d’autres ont été honorés, indemnisés, soignés et même placés dans des emplois. Pour ce qui est des massacres, certains ont été instrumentalisés politiquement, tandis que d’autres ont été minimisés ou effacés.
Ces dernières années, certains responsables politiques ont eu le courage de reconnaître les crimes qu’ils avaient commis — ou que les parties qu’ils représentent avaient commis — durant la guerre, et de s’en excuser publiquement, comme Samir Geagea et Georges Haoui. Mais d’autres ont persisté dans le déni, affirmant que leur parcours était exempt non seulement de fautes, mais même d’erreurs. Certes, nous avons assisté à plusieurs réconciliations — la plus durable et la plus efficace étant sans doute celle de la Montagne, orchestrée par feu le patriarche maronite Nasrallah Boutros Sfeir et le leader druze Walid Joumblatt en août 2001 — mais beaucoup d’autres n’ont duré que le temps des intérêts politiques de l’un de leurs protagonistes, comme l’accord de Maarab.
En vérité, le Liban ne se relèvera pas — même s’il est reconstruit et redevient prospère — tant que sa mémoire ne sera pas purifiée, un processus collectif qui exige le courage de reconnaître et de s’excuser d’un côté, et de se confronter et de pardonner de l’autre. Cela requiert également une guérison nationale, collective et parfois psychologique, afin de dissiper les rancœurs et la peur profonde de l’autre, du différent. Il faut en outre une résolution sérieuse et définitive des dossiers en suspens, tels que celui des disparus et des détenus de la guerre libanaise, ou les litiges portant sur les propriétés d’autrui — comme l’affaire des terres de Lassa, ou encore l’hôpital Al-Rassoul Al-Aazam, dont une partie a été construite sur des terrains appartenant à des chrétiens et à des biens ecclésiastiques.
Cependant, la voie urgente et obligatoire pour purifier la mémoire est de commencer par purifier le moment présent — en mettant fin au mensonge mutuel et aux accusations de trahison, en cessant de fabriquer des récits idéalisés sur sa propre histoire et son propre parcours, en reconnaissant les actes motivés par des intérêts personnels ayant des répercussions collectives — comme l’ouverture par le “Hezbollah” du front sud au lendemain de l’opération « Déluge d’al-Aqsa » — et en abandonnant les illusions de victoire dans la dernière guerre. Lorsque le pape Jean-Paul II a visité le Liban en mai 1997, il a appelé à purifier la mémoire. Nous avons gaspillé 28 ans sans franchir cette étape urgente ; au contraire, certains n’ont fait qu’alourdir davantage cette mémoire. Puissions-nous espérer que l’appel du pape Léon à « purifier la mémoire » ne reste pas une simple exhortation s’ajoutant à celle du pape Jean-Paul II, afin que la peur de l’autre, la haine et les accusations mutuelles de trahison ne demeurent pas comme des braises sous la cendre.
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