L’initiative de dialogue lancée par le secrétaire général adjoint du « Hezbollah », le cheikh Naïm Qassem, à l’adresse de l’Arabie saoudite a surpris de nombreux observateurs, au Liban comme à l’étranger. Elle appelait à ouvrir une nouvelle page entre les deux parties, fondée sur le règlement des différends, la défense d’intérêts communs et la reconnaissance d’Israël comme menace partagée. Pour certains, elle traduisait une souplesse inhabituelle de la part du « Hezbollah » – sans doute liée aux pressions internes et externes croissantes.

Qassem a inscrit son initiative dans le cadre d’un avertissement contre le projet expansionniste d’Israël, qui, selon lui, menace l’ensemble des pays de la région. Ce projet, dit-il, est désormais sans limites, en particulier après la frappe contre le Qatar, qui impose une unité de positions et d’actions.

En attendant la réponse de Riyad

À ce jour, l’Arabie saoudite n’a pas réagi officiellement à l’ouverture du « Hezbollah ». Les responsables saoudiens sont d’ailleurs connus pour répondre « attendez le communiqué » lorsqu’on les interroge sur leur position face à une initiative ou une affaire délicate. Pour l’instant, seules des fuites laissent entrevoir la position de Riyad : « Tout dialogue doit être d’État à État », avec un refus de traiter le « Hezbollah » comme une entité distincte de l’État libanais – d’autant que l’Arabie et ses partenaires du Conseil de coopération du Golfe classent le mouvement comme organisation terroriste.

Fait notable, l’émissaire saoudien, le prince Yazid ben Farhan, est arrivé à Beyrouth quelques heures seulement après l’annonce du « Hezbollah ». Selon des informations, il a abordé l’initiative lors de ses rencontres avec les dirigeants libanais, dont le président et le Premier ministre, ainsi qu’au cours d’un appel téléphonique avec le président du Parlement, Nabih Berri, alors en réunion prolongée avec son proche collaborateur, le député Ali Hassan Khalil, à la résidence de l’ambassadeur saoudien à Yarze. Berri a ensuite rencontré ben Farhan en personne, et tout indique qu’il se rendra prochainement à Riyad, en réponse à une invitation officielle en préparation depuis plusieurs mois.

Certains estiment que la récente attaque israélienne contre le Qatar a provoqué un électrochoc dans les capitales du Golfe et rapproché davantage l’Arabie saoudite et l’Iran, ouvrant la voie à un éventuel dialogue indirect avec le « Hezbollah ». En marge du dernier sommet arabo-islamique à Doha, le président iranien Ebrahim Raïssi a rencontré le prince héritier Mohammed ben Salmane. Deux jours plus tard, ce dernier a reçu à Riyad Ali Larijani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, qui s’était rendu auparavant en Irak et au Liban.

Quelle place pour l’Iran ?

Tandis que le « Hezbollah » affirme que son initiative envers Riyad n’est pas liée aux démarches iraniennes, beaucoup y voient une connexion. Téhéran avait encouragé le mouvement, il y a quelques mois, à s’ouvrir à l’Arabie saoudite. Le « Hezbollah » avait alors testé le terrain sans obtenir de réponse positive. Néanmoins, les efforts pour normaliser les relations saoudo-chiites ne se sont jamais interrompus, Riyad ayant exprimé une certaine considération pour les positions de Nabih Berri.

Dans ce contexte, Berri devrait jouer un rôle central dans tout canal de dialogue entre le « Hezbollah » et Riyad. Mais les adversaires du mouvement préviennent : son refus de remettre ses armes sous le contrôle exclusif de l’État demeure l’obstacle majeur, alors que l’Arabie souhaite un Liban fort et uni sous l’autorité de son gouvernement central. À cela s’ajoutent les divergences profondes sur les dossiers régionaux, notamment le Yémen et la Syrie.

Trois scénarios possibles

Les analystes évoquent trois trajectoires pour d’éventuelles discussions directes ou indirectes entre Riyad et le « Hezbollah » :

- L’impasse : si le « Hezbollah » refuse de se désarmer, l’Arabie saoudite rejettera tout dialogue et les relations resteront gelées, sous pression internationale et du Golfe.

- La dynamique irano-saoudienne : si l’accord entre Téhéran et Riyad progresse vers des percées régionales, l’Arabie pourrait envisager un dialogue indirect – ou par médiation – centré sur des enjeux précis comme la sécurité du Golfe et la stabilité du Liban.

- Des contacts intermittents : l’avenir proche pourrait être marqué par des échanges discrets ou sporadiques entre Riyad et le « Hezbollah » via Berri, qui capitaliserait sur ses liens historiques avec le royaume.

Les intérêts de l’Arabie saoudite

Si Riyad voyait un intérêt à dialoguer avec le « Hezbollah », plusieurs facteurs pèseraient dans la balance :

- La carte du « Grand Israël » révélée par Netanyahu, incluant de manière controversée une partie du nord de l’Arabie saoudite, crée un impératif sécuritaire direct pour Riyad de s’allier avec des forces de résistance, dont le « Hezbollah », afin de contrer cette menace commune.

- La récente frappe israélienne contre le Qatar a envoyé un avertissement sévère aux États du Golfe – y compris à l’Arabie saoudite – qu’aucun n’est à l’abri de l’expansionnisme israélien, renforçant la nécessité d’alliances régionales.

- L’attachement de l’Arabie au principe de la solution à deux États, qui prévoit un État palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale, se heurte au projet expansionniste de Netanyahu qui vide cette option de son sens.

Toute ouverture saoudienne vers le « Hezbollah » doit toutefois composer avec la position américaine. Washington continue de classer le mouvement comme organisation terroriste et exerce des pressions sur Beyrouth pour le désarmer – une position partagée par l’Arabie et la majorité des pays du Golfe.

Cependant, la frappe israélienne contre le Qatar et la carte du « Grand Israël » incluant une partie du territoire saoudien ont accentué, à Riyad, le sentiment d’une menace existentielle, pouvant conduire à une réévaluation des alliances. Malgré cela, le royaume devrait rester attaché à sa condition essentielle pour tout dialogue : le désarmement du « Hezbollah » au profit de l’État libanais.

Pour le « Hezbollah », les lourdes pertes subies lors de son récent conflit avec Israël – y compris ses revers en Syrie – augmentent sa nécessité de rapprochements régionaux. Cela pourrait pousser le mouvement à concéder certains points, acceptables pour l’Arabie et tolérables pour Washington, dans le cadre d’un nouvel arrangement sécuritaire régional.

Un dialogue par procuration

Au final, Riyad pourrait opter pour un dialogue indirect avec le « Hezbollah » via Nabih Berri. La formule serait alors : l’initiative revient au Hezbollah, mais le dialogue à Berri. La crédibilité ancienne du président du Parlement auprès des deux parties et son expérience de médiateur dans les crises politiques libanaises le placent en position de faciliter ce qu’il a toujours prôné : un rapprochement irano-saoudien comme clé de la stabilité régionale – et de l’équilibre fragile du Liban.