L’« opération Sommet de feu » lancée par Israël contre des dirigeants du Hamas à Doha a envoyé un message clair : le Premier ministre Benyamin Netanyahou se soucie moins des négociations sur les otages que de gagner du temps à coups d’aventures militaires successives, jusqu’aux prochaines élections, quel qu’en soit le calendrier.

Netanyahou a souvent choisi le silence ou de vagues assurances avant de déclencher de telles frappes, qu’elles visent Gaza, le Liban, l’Iran, la Syrie, le Yémen, l’Irak… et désormais le Qatar. Dès le début, il y a près de deux ans, avec sa réponse au « Déluge d’Al-Aqsa », il avait affiché son intention de mener une guerre existentielle qu’il a parée d’un vernis religieux.

Dans cette logique, Netanyahou est allé plus loin que tous ses prédécesseurs depuis la fondation d’Israël. Il s’appuie sur la doctrine antiterroriste née du massacre des Jeux olympiques de Munich en 1972, où des athlètes israéliens furent tués. Cet épisode constitua un tournant sous la Première ministre Golda Meir et donna naissance à la « doctrine de Munich » : le sang juif ne serait plus versé sans représailles. La traque et l’exécution des responsables devinrent un pilier de la sécurité nationale et de la doctrine militaire israéliennes, qu’elles soient publiques ou clandestines.

La frappe contre des responsables du Hamas au Qatar s’inscrit dans cette continuité. Mais depuis deux ans, la trajectoire a pris un tour bien plus brutal. Netanyahou considère désormais les dirigeants du Hamas comme les instigateurs du bain de sang du 7 octobre 2023. Pourtant, malgré la férocité du gouvernement le plus extrémiste de l’histoire d’Israël, l’attaque de Doha n’a pas atteint son objectif : éliminer la direction du mouvement, considérée comme le bras de l’axe iranien.

Ce type d’opération a historiquement séduit l’opinion publique israélienne, surtout lorsqu’elle réussit. Elle a renforcé la stature de Netanyahou à l’intérieur, même l’opposition reconnaissant l’ampleur de l’action, validée par le président américain Donald Trump. Ses partisans y ont vu une démonstration d’indépendance et de force, un acte de justice et de revanche symbolique contre les figures du 7 octobre que, selon les médias pro-Netanyahou, « les gratte-ciel du Golfe ne pouvaient abriter ».

Au départ, l’opération de Doha a servi de levier émotionnel : elle a attisé le sentiment national, dopé le moral et donné l’impression d’une capacité de riposte — quitte à prendre des risques diplomatiques.

Cibler le Qatar : une erreur de calcul

Mais la frontière entre succès et échec s’est révélée mince, et à Doha, le pari s’est retourné contre Israël. Pour la première fois, Tel-Aviv frappait ouvertement un État du Golfe. Le Qatar est pourtant un allié des États-Unis, abritant la plus grande base américaine de la région. L’attaque est survenue quelques mois seulement après la visite de Trump, qui avait souligné son importance stratégique.

Doha n’est pas en guerre avec Israël. L’émirat fut l’un des premiers à entretenir des liens discrets avec l’État hébreu, tout en gardant parfois un ton diplomatique virulent. Il a surtout joué le rôle de médiateur dans les négociations de cessez-le-feu et d’otages, restant l’un des rares canaux ouverts. En frappant le Qatar, Israël a touché à la fois son ennemi et son interlocuteur, revendiquant aussitôt l’opération, avec défi.

Il s’agissait moins de remodeler la délégation du Hamas que de saboter la négociation elle-même. Netanyahou sait que le mouvement ne cédera pas. Son objectif déclaré reste l’anéantissement du Hamas, y compris par une invasion de Gaza — une idée à laquelle s’opposent ses propres généraux.

L’erreur de calcul apparaît désormais flagrante. La frappe, aussi brutale soit-elle, n’a pas décapité la direction du Hamas. Netanyahou se retrouve face à un embarras croissant, à l’intérieur comme à l’extérieur. Ses opposants exploitent ce fiasco, soulignant qu’il n’apporte aucune solution au dossier des otages, ne mettra pas fin à la guerre et ne fait qu’aggraver l’angoisse des familles.

Ces dernières dénoncent une opération de pure démonstration de force, alors que « le temps presse ». Leur message : cesser de privilégier la vengeance au détriment du sauvetage des vies. Un slogan a pris racine : « Les mauvais dirigeants veulent avoir raison, les bons dirigeants veulent faire ce qui est juste. » Le discours de la victoire sur le Hamas peut flatter l’opinion, mais il ne fonctionne pas stratégiquement.

L’échec a aussi creusé les fractures entre Netanyahou et certains responsables de la sécurité, tout en accentuant l’isolement régional et international d’Israël, accusé de nouvelles violations du droit international. Ses critiques lui imputent la responsabilité directe, dénonçant son imprudence et sa gouvernance solitaire. En tentant de détourner l’attention de ses crises politiques, sécuritaires et judiciaires internes, Netanyahou a cherché à exporter la confrontation et à renforcer ses alliés de l’extrême droite pour consolider son socle électoral.

Au contraire, ce revers met en lumière la confusion profonde qui entoure la conduite de la guerre et ses répercussions diplomatiques. Depuis le déclenchement du conflit après le « Déluge d’Al-Aqsa », Netanyahou peine à imposer son ordre régional. Aujourd’hui, confrontée à des obstacles multiples et surtout à l’épreuve du temps, la « doctrine de Munich » semble se retourner contre elle.