Le Liban se trouve aujourd’hui à un tournant décisif. Les choix et événements qui se dérouleront dans les prochains jours façonneront les trajectoires intérieures et internationales autour des questions les plus pressantes du pays. Au premier rang figure la décision gouvernementale de « limiter les armes à l’État », une politique soutenue par des factions internes et des puissances extérieures, qui exigent le désarmement du « Hezbollah » — par la force si nécessaire, comme l’a averti le sénateur américain Lindsey Graham depuis Tel-Aviv. Proche allié du président Donald Trump, Graham a lancé cet avertissement alors que les violations israéliennes de l’accord de cessez-le-feu le long de la frontière sud se poursuivent sans relâche, maintenant une situation explosive. Le climat s’est encore tendu après la présentation par le Premier ministre Benjamin Netanyahou d’une carte du « Grand Israël » englobant audacieusement le Liban, la Syrie, la Jordanie, l’Irak, le Koweït et le nord de l’Arabie saoudite.
Dans ce contexte, le Conseil des ministres libanais doit se réunir vendredi dans ce que beaucoup appellent déjà la « séance des armes », afin d’examiner le plan de l’armée pour mettre en œuvre la décision gouvernementale. À la veille de cette réunion, le président du Parlement Nabih Berri s’est adressé à la nation à l’occasion du 47e anniversaire de la disparition de l’imam Moussa Sadr. Son discours, à contre-courant des attentes, s’est voulu apaisant plutôt que conflictuel. Alors que certains redoutaient une opposition frontale au désarmement, ou au contraire une résignation face aux pressions internes et externes, Berri a tracé une voie plus nuancée, interprétée par les analystes selon sept axes principaux :
1. Unité avec le « Hezbollah »
Berri a écarté toute spéculation sur d’éventuelles divergences, affirmant l’unité du tandem chiite. Il a appelé à traiter la question des armes en interne, par un dialogue calme et constitutionnel visant à élaborer une stratégie nationale de sécurité. Ainsi, il a distingué entre désarmement et négociations avec Israël, alors que Washington et Tel-Aviv conditionnent ces dernières au désarmement préalable du Hezbollah et à la tolérance des violations israéliennes du cessez-le-feu.
2. Priorité à la fin de l’occupation et à la reconstruction
Il a exhorté à revenir aux priorités du serment présidentiel et de la déclaration ministérielle : obtenir le retrait israélien et reconstruire ce que les guerres ont détruit. Le bloc chiite, a-t-il souligné, conservera ses armes tant que l’occupation persiste, refusant de se plier à la proposition américaine qui contourne l’accord de cessez-le-feu du 27 novembre — considéré comme le cadre pratique de la résolution 1701 de l’ONU.
3. Nationaliser la question
Berri a repositionné le débat sur les armes comme une question nationale et non communautaire. Il a rappelé que de nombreuses localités du sud occupées par Israël comptent des habitants sunnites ainsi que des communautés mixtes, comme à Khiyam et à Yaroun, illustrant la diversité libanaise.
4. Mise en garde contre le discours de haine
Il a distingué les Libanais ordinaires qui ont fait preuve de solidarité lors des déplacements de guerre de ceux qui mènent des campagnes de « harcèlement politique, de diffamation et de diabolisation » à l’encontre de la communauté chiite. Berri a averti des dangers du discours de haine, de l’ignorance et des incitations sectaires, les jugeant plus menaçants pour le Liban que les armes du Hezbollah, qu’il a décrites comme ayant libéré la terre, préservé la dignité et protégé la souveraineté.
5. Protéger l’armée
Il a refusé d’impliquer l’armée libanaise dans la bataille du désarmement, qualifiant cette mission de « boule de feu » visant à affaiblir l’institution militaire. Il a salué le « rôle national sacré » de l’armée dans le sud en application de la résolution 1701 et son rôle à travers le pays pour protéger la paix civile.
6. La véritable menace : le Grand Israël
Selon lui, le véritable danger ne réside pas dans l’arsenal du Hezbollah mais dans la carte du « Grand Israël » de Netanyahou. Il a critiqué le dirigeant israélien qui se vante d’être en « mission historique et spirituelle » pour concrétiser cette vision englobant tout le Liban. Il a aussi dénoncé la visite du chef d’état-major israélien dans le sud comme un affront à la souveraineté libanaise.
7. Un appel à l’unité nationale
Enfin, Berri a exhorté les Libanais à saisir cette menace existentielle comme une opportunité d’unité, de coopération et de responsabilité. Il a appelé à respecter la Constitution sans renoncer aux fondements du Liban comme « patrie définitive pour tous ses citoyens », reprenant le slogan de l’imam Moussa Sadr consacré dans le préambule de l’accord de Taëf.
Une feuille de route pour l’avenir
Beaucoup ont vu dans le discours de Berri une feuille de route : un appel à un dialogue inclusif et constitutionnel pour intégrer les armes du Hezbollah dans une stratégie nationale de sécurité qui évite la discorde interne. Pour Berri, la menace imminente ne réside pas dans les armes locales mais dans le projet expansionniste israélien. À défaut d’unité nationale pour lui résister, le Liban risque de devenir une « mini-état » au sein du Grand Israël — tout comme les autres pays figurant sur la carte de Netanyahou pourraient connaître le même sort s’ils n’agissent pas.