Il est vrai qu’au premier plan de la scène politique libanaise se trouvent aujourd’hui un président maronite, un commandant de l’armée maronite, un patriarche dont les positions suscitent souvent des réactions, ainsi que des chefs de partis, députés, ministres et figures maronites influentes. Pourtant, la réalité plus profonde est que la communauté maronite connaît, depuis trois décennies, un recul sur la scène libanaise, un déclin dû en grande partie à deux facteurs principaux : la guerre civile de 1975 et ses conséquences, ainsi que les querelles maronites internes.
Cet épisode particulier de l’histoire ne doit pas devenir la règle. Il doit rester une exception, une leçon dont il faut tirer enseignement pour bâtir un avenir plus lumineux, maronite et donc libanais. Car la présence active des Maronites dans cette région demeure, malgré tout, la garantie essentielle et le pilier stable de la survie du Liban. Le Liban, tout comme les Maronites eux-mêmes, est une nécessité incontournable pour son environnement et pour le monde. Permettre que son rôle s’efface, ou songer à abandonner cette patrie pour une autre, serait une erreur grave.
Depuis les débuts de leur histoire, longue de 1 600 ans, les Maronites se sont accrochés aux valeurs religieuses, humaines, éthiques et intellectuelles, et ont fait preuve de leadership dans tous les domaines. Le maronitisme, en tant qu’identité spirituelle et culturelle, est plus grand que n’importe quel individu, quel que soit son rang, religieux ou temporel.
Aujourd’hui plus que jamais, les Maronites sont appelés à réévaluer leur expérience, à clarifier leurs positions, à repenser leurs comportements et leurs politiques, et à définir leurs objectifs, déclarés ou implicites. Ils doivent reconnaître que leur patrie, leur héritage, leur existence, et tout ce que leurs ancêtres et descendants ont accompli au pays et à l’étranger, ne peuvent perdurer que dans le partage avec les autres, au minimum par le dialogue, le consentement et le compromis raisonnable.
Le pape Jean-Paul II a résumé cette vérité dans son exhortation apostolique Une espérance nouvelle pour le Liban, en décrivant le pays comme « plus qu’une nation, un message ». Et tandis que le Liban attend la visite du pape Léon XIV plus tard cette année, ce message mérite d’être réaffirmé. Or, aujourd’hui, les fondations fragiles de l’entité libanaise sont ébranlées par les divisions, l’émigration, le découragement et l’illusion d’une force excessive. Il n’existe pas de géographie de rechange à cette terre, carrefour de civilisations, de religions et de valeurs.
Une grande partie du déséquilibre du Liban provient, et persiste encore, d’un manque de compréhension entre les Maronites eux-mêmes. Pourtant, le christianisme, et le maronitisme en son sein, repose sur l’amour, le pardon, l’acceptation de l’autre, l’ouverture et le dialogue. C’est une foi qui défend la dignité de l’être humain, indépendamment de son origine, de sa religion ou de ses convictions. La présence maronite au Liban n’est pas le fruit du hasard : elle représente un lien organique entre trois éléments, l’homme, la terre et la liberté, dont chacun est indispensable aux deux autres.
Guidés par l’esprit des enseignements du Christ et la lumière de l’Évangile dans ce nouveau millénaire, inspirés par l’exemple des papes qui ont résisté à la rigidité, au fanatisme et à l’autoritarisme, et conscients de la nécessité de préserver notre place sous le soleil, je propose la Charte Maronite suivante :
1- Identité spirituelle et historique : Réaffirmer notre essence maronite, spirituellement, en tant qu’héritiers de saint Maron, l’ermite qui a vécu l’Évangile avec simplicité, dévouement et courage ; et historiquement, en tant que partie de l’héritage antiochien syriaque profondément enraciné dans l’identité et les valeurs du Liban.
2- Poursuite de la mission maronite : Raviver la mission maronite qui a accompagné l’entité libanaise à toutes ses étapes, notamment depuis son établissement comme État moderne, et retrouver, collectivement, notre rôle pionnier aux côtés de nos concitoyens.
3- Unité de la communauté et de la nation : Reconnaître que lorsque la communauté maronite se fragmente et faiblit, l’entité libanaise s’affaiblit aussi. Mais lorsqu’elle s’unit, agit avec détermination et se relève, le Liban se redresse et guérit.
4- Diversité politique, intérêt commun : Défendre le droit de chaque Maronite à un choix politique, tout en veillant à ce que toutes les opinions, aussi divergentes soient-elles, servent en fin de compte l’intérêt maronite et national. Les désaccords, lorsqu’ils surviennent, doivent être gérés sous l’égide du Patriarcat maronite, afin d’éviter des fractures plus profondes jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée.
5- Le pays comme message : Incarner le rôle du Liban en tant que « message », par une citoyenneté authentique, loin de l’hypocrisie et de la duplicité du discours.
6- Unité du clergé et des laïcs : Revenir à l’esprit de la première Église maronite, où clergé et laïcs formaient une seule communauté cohésive et harmonieuse.
7- La fonction publique comme service : Considérer toute fonction, religieuse ou séculière, non comme un honneur, mais comme une responsabilité et un devoir de service, dans l’esprit des paroles du Christ : « Que le plus grand parmi vous soit votre serviteur. »
8- Mobiliser les forces collectives : Rassembler les talents maronites dans tous les domaines et diffuser la culture maronite auprès de tous les Libanais, en ravivant la devise : « Un Maronite est un savant. »
9- Institution maronite mondiale : Créer une institution maronite internationale chargée de recenser la diaspora, de renouer les liens avec elle et de canaliser ses énergies vers le développement économique, social et éducatif du Liban, dans un cadre plus large qui englobe l’ensemble de la diaspora libanaise.
10- Héritage de sainteté : Mettre en avant nos trois saints canonisés et deux bienheureux de cette époque, pour affirmer que notre terre demeure une terre de sainteté, qui produit des justes et des saints.
Ces paroles s’adressent à tous les Maronites, dirigeants comme simples fidèles.
La question demeure : qui répondra à l’appel ?