La formule de la « Troïka », introduite au Liban après l’Accord de Taëf, fut une règle non écrite inventée par l’occupation syrienne pour gérer le pouvoir. Elle permettait à Damas de dicter l’équilibre entre le président de la République, le Premier ministre et le président de la Chambre. Dans les faits, elle devint un arrangement en coulisses pour les nominations, l’élaboration des budgets, la politique étrangère et les relations internationales du Liban, le tout sous tutelle syrienne.
Elle représentait également une violation flagrante de l’esprit de Taëf. En transgressant le principe de la « séparation des pouvoirs » et en accordant au président du Parlement, Nabih Berri, un rôle décisionnel dans l’exécutif bien au-delà de son mandat constitutionnel, la Syrie a ouvert la voie à l’ascension du « chiisme politique » et à sa mainmise sur le pays après le retrait de l’armée syrienne le 26 avril 2005. La formule transformait ainsi la prise de décision au Liban en un pacte tripartite sous supervision syrienne, plutôt qu’en un équilibre constitutionnel des pouvoirs.
Sous le mandat prolongé de neuf ans du président Elias Hraoui, la Troïka atteignit son apogée grâce à son alignement avec Berri et le Premier ministre Rafic Hariri. Son successeur, Émile Lahoud — dont la présidence fut également prorogée de neuf ans — transforma l’arrangement en une arène de confrontation entre Lahoud, soutenu par la Syrie, et Hariri, un conflit qui culmina avec l’assassinat de ce dernier le 14 février 2005. Tout au long de son existence, la Troïka constitua une violation manifeste de la Constitution libanaise, laquelle stipule que l’autorité exécutive revient au Conseil des ministres en tant que corps collectif, chargé de définir la politique générale de l’État et de veiller à son application conformément aux lois.
Comme le dit un proverbe libanais : « Le failli fouille dans les vieux carnets de son grand-père. » Ce fut le cas ces dernières semaines, lorsque le « duo » chiite tenta de ressusciter la Troïka afin d’échapper à des négociations sérieuses et encadrées dans le temps sur l’arsenal du Hezbollah. Ils ont exploité les pourparlers directs que le président Joseph Aoun menait avec le parti — discussions restées stériles — et cherché à brandir la menace d’un blocage du Conseil des ministres ou d’une guerre civile.
Cette Troïka embryonnaire, apparue dans des discussions entre Aoun, le Premier ministre Nawaf Salam et le président Berri — ce dernier jouant le rôle d’intermédiaire du Hezbollah —, poussa le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, à tirer la sonnette d’alarme. Dans une déclaration publiée le 6 juillet 2025, il s’interrogea : « Sommes-nous revenus à l’invention de la Troïka par Assad ? Qui négocie à présent ? L’État libanais en est-il réduit à attendre la parole du Hezbollah, alors que ce devrait être l’inverse — le Hezbollah attendant la décision du gouvernement ? »
Avertissant que quiconque gaspillerait cette opportunité porterait une lourde responsabilité devant le peuple libanais et devant l’histoire, Geagea exhorta le gouvernement à se réunir immédiatement et à préparer une réponse nationale unifiée à la proposition américaine — une réponse qui garantirait, dans les faits et non dans les discours, le retrait israélien du territoire libanais, la fin des agressions, et l’édification d’un véritable État capable de protéger les Libanais et l’avenir de leurs enfants. Il appela les dirigeants à « cesser de jouer avec le destin du Liban simplement pour renforcer la position de l’Iran dans les négociations internationales à venir ».
La position de Geagea, partagée par d’autres forces souverainistes, provoqua la réaction du Premier ministre Salam, qui rejeta tout retour à la Troïka, la qualifiant de dilution de l’autorité exécutive. Sa posture révéla également la tentative du Hezbollah d’exploiter la volonté d’Aoun d’accommoder le parti et son environnement. Elle coïncida aussi avec des avertissements internationaux contre le risque de laisser passer cette occasion ou d’y répondre par des formules creuses, polies dans la forme mais vides dans le fond.
Le tournant se produisit lors du Conseil des ministres du 5 août 2025, consacré aux armes du Hezbollah et aux propositions américaines. Parallèlement à un discours défiant du secrétaire général adjoint du Hezbollah, cheikh Naïm Qassem — qui réaffirma l’attachement du parti à ses armes —, le gouvernement adopta des décisions historiques. Il fixa la fin de l’année comme date butoir pour le démantèlement de l’arsenal du Hezbollah et chargea l’armée libanaise de présenter d’ici fin août les étapes concrètes à suivre. Ainsi, la Troïka fut effectivement avortée, et l’autorité restaurée au Conseil des ministres, présidé ce jour-là par le président Aoun.
Dans une interview télévisée accordée à Al Arabiya le 17 août, Aoun confirma ce virage, déclarant que le document américain était devenu un document libanais, Beyrouth s’étant abstenu d’y ajouter des réserves. Il expliqua clairement le choix : « Soit nous approuvons ce document et réclamons le soutien international pour obtenir la conformité d’Israël, soit nous le rejetons et nous exposons à une intensification des attaques et à l’isolement économique. » Ses propos soulignèrent la rupture définitive avec la Troïka et le retour à une gouvernance constitutionnelle.
Les déclarations d’Aoun contrèrent également les menaces iraniennes et la rhétorique du Hezbollah contre la décision du Conseil des ministres du 5 août. Il insista sur le fait que la question des armes du Hezbollah est une affaire interne relevant des institutions constitutionnelles, tout en affirmant son ouverture à tout débat « sous le toit de l’État ».
Même le président du Parlement, Nabih Berri, dans ses propres propos à Al Arabiya, reconnut implicitement la fin de la Troïka. En appelant à un dialogue sur la décision gouvernementale de limiter les armes à l’État — tout en affirmant qu’elle ne pouvait être appliquée « telle quelle » —, il concéda de fait que la Troïka était morte, tout en cherchant encore une fois à esquiver le cœur du problème : la remise des armes du Hezbollah.
Avec l’enterrement de la Troïka, le Liban entame désormais une nouvelle étape de reconquête de sa souveraineté, en abolissant les pseudo-traditions imposées par le duo chiite et en se libérant des déformations telles que leur interprétation biaisée de la « consociation ». C’est le travail douloureux de la clôture du chapitre pré-« Déluge d’al-Aqsa » et de l’affranchissement du corps en décomposition de l’« axe de la résistance ».
Il est temps de tourner la page.