Alors que la crise interne en Israël s’approfondit, à la fois sur le plan politique et social, le gouvernement a choisi d’accélérer un plan de colonisation agressif visant à fragmenter la Cisjordanie — notamment dans ses régions nord et sud — dans le cadre d’un projet de remodelage démographique qui ne s’est jamais véritablement interrompu. Cette nouvelle étape se concentre sur Jérusalem, au moment même où l’exécutif poursuit sa campagne militaire dans la bande de Gaza.

Parallèlement, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a tenu des propos sans précédent, affirmant sa conviction dans le concept d’« Israël grand », réduisant à néant les dernières perspectives d’un règlement négocié avec les Palestiniens et d’une paix élargie avec le monde arabe.

Face à une opposition intérieure grandissante et à quelques jours d’une grève générale annoncée pour le 17 août, le gouvernement Netanyahou a tenté de détourner l’attention en relançant son vieux rêve d’annexer la Cisjordanie et de pousser ses habitants palestiniens vers la Jordanie. Cette initiative intervient alors que le soutien international en faveur d’un État palestinien s’intensifie. Mais à plus d’un an des élections locales, le plan semble viser moins la diplomatie que le renforcement d’un socle politique interne fragilisé.

Le projet E1 et le grognotage de l’État palestinien

Au cœur de cette offensive se trouve le projet dit « E1 », une zone d’environ 12 kilomètres carrés reliant les colonies de Ma’ale Adumim et Pisgat Zeev, dans la zone C sous contrôle israélien conformément aux accords d’Oslo. Cette zone englobe les localités palestiniennes d’Anata, Issawiya, Az-Za’ayyem, Al-Eizariya et Abu Dis — vouées à disparaître afin de relier Ma’ale Adumim à Jérusalem-Est, isolant ainsi la ville de son environnement palestinien et contrecarrant la création d’un futur État palestinien.

Imaginé après la conquête israélienne de Jérusalem-Est lors de la guerre de 1967, ce plan constituerait une étape décisive vers l’annexion totale de la Cisjordanie. Depuis des années, les leaders de la droite israélienne en promettent la mise en œuvre, en particulier depuis la guerre du « Déluge d’Al-Aqsa », qu’ils puissent ou non la concrétiser.

Israël a déjà préparé le terrain : infrastructures, routes, annonces de milliers de nouveaux logements, morcellement de la Cisjordanie en enclaves discontinues. La vie des Palestiniens y devient de plus en plus intenable, poussée vers une « migration volontaire » par le biais d’expulsions forcées, de confiscations de terres, de démolitions de maisons et du déplacement de communautés bédouines dans les pentes orientales, la vallée du Jourdain et Khan al-Ahmar.

Un élément central est la construction de quartiers réservés aux colons, tels que « Mevaseret Adumim », qui comptera plus de 3 000 unités. Les Palestiniens se voient interdire l’accès aux routes de la zone, réservées exclusivement aux colons et reliées par de nouvelles autoroutes et tunnels aux autres colonies de Cisjordanie et de Jérusalem.

À terme, le projet ambitionne une « Grande Jérusalem » de 600 km² — soit 10 % de la Cisjordanie —, coupant la ville de son tissu palestinien, modifiant son équilibre démographique au profit des Israéliens, empêchant l’expansion urbaine palestinienne et séparant physiquement Ramallah au nord de Bethléem au sud. Résultat : une mosaïque de « cantons » rendant quasi impossible la viabilité d’un État palestinien.

Un éveil fondateur contre Netanyahou

Malgré ces ambitions, le gouvernement Netanyahou n’a pas réussi à étouffer l’opposition intérieure grandissante. La récente « grève du peuple », lancée par l’opposition et soutenue par les familles des otages détenus par le Hamas, a marqué un tournant.

Cette mobilisation a provoqué des réactions frénétiques au sein du gouvernement, révélant l’impact du mouvement populaire. Plus encore, elle a éveillé une prise de conscience nouvelle parmi les Israéliens face à la crise que traverse leur pays — un constat confirmé par les sondages montrant une majorité de sympathie pour le mouvement, bien qu’une minorité seulement y ait pris part activement.

Appuyée par des syndicats, des universités, des artistes et de grandes entreprises, la grève a touché 350 sites et mobilisé des centaines de milliers de personnes. Sans atteindre le niveau d’une désobéissance civile généralisée, elle a paralysé des secteurs économiques et des axes de transport essentiels. L’opposition appelle désormais à des manifestations massives dans les semaines à venir.

Cependant, de lourds défis l’attendent : préserver son unité, élaborer un programme commun et crédible pour les prochaines élections. Renverser Netanyahou à court terme demeure très difficile.

De son côté, le Premier ministre a durci sa ligne. Avec la guerre de Gaza qui approche de sa deuxième année, il ne peut se permettre d’apparaître affaibli. Il mise sur le temps pour échapper au procès, sur la division des revendications de l’opposition et sur les fractures de ses adversaires. Il persiste à refuser toute trêve, laissant entendre qu’il pourrait mobiliser sa base pour provoquer le chaos si nécessaire.

En réaffirmant sa volonté d’obtenir une « victoire totale » à Gaza, Netanyahou soulève de nouvelles interrogations quant à ses déclarations répétées de succès au cours des deux dernières années, et quant à la faisabilité d’un tel objectif.

À l’avenir, il pourrait tenter d’échanger le gel de certaines parties de la Cisjordanie contre une trêve prolongée à Gaza, mais une telle stratégie ne convaincrait probablement pas les pays arabes, qui exigent la fin de la guerre. Au contraire, Netanyahou pourrait se radicaliser davantage pour démontrer son refus des pressions internationales, régionales et intérieures.

De nouvelles opérations militaires extérieures ne sont pas à exclure, en Syrie, au Liban ou ailleurs. Netanyahou se voit comme investi d’une « mission spirituelle historique », à mesure que s’intensifie le compte à rebours électoral. Et ce, alors qu’Israël subit des attaques venues du Yémen, que ses failles sécuritaires se sont révélées dans le conflit avec l’Iran, et qu’une opposition de plus en plus audacieuse prend forme à l’intérieur.

Pour l’heure, le temps pourrait bien devenir le principal adversaire de Netanyahou — sapant progressivement la popularité de son gouvernement, affaiblissant l’économie et la société israéliennes, et accélérant le déclin de sa réputation sur la scène internationale.