La séance du Conseil des ministres, présidée par le président Joseph Aoun au Palais présidentiel, restera dans les annales comme un moment charnière – sinon historique. La réunion s’est conclue par une décision majeure : l’armée libanaise est désormais officiellement chargée d’élaborer, d’ici la fin de l’année, un plan d’action concret pour désarmer toutes les parties non étatiques. Ce plan devra être présenté au Conseil des ministres avant le 31 août pour discussion et approbation.

Le Premier ministre Nawaf Salam a défendu cette initiative en s’appuyant sur l’Accord de Taëf, la déclaration ministérielle de son gouvernement, le discours d’investiture du président et l’accord de cessez-le-feu parrainé par l’ONU et déjà approuvé par le Liban.

Le 5 août 2025 marquera ainsi le véritable coup d’envoi du mandat présidentiel et un tournant vers la construction de l’État. Après tout, comment un gouvernement pourrait-il réussir s’il ne détient pas la décision de guerre et de paix ? Comment regagner la confiance locale et internationale tant que des armes échappent à son contrôle, affaiblissant sa crédibilité interne et alimentant son isolement à l’étranger ?

Certes, des obstacles persistent. Mais les vieilles menaces – guerre civile, chute du gouvernement ou répétition du 7 mai – n’ont plus de prise. Ces mises en garde, régulièrement adressées aux Forces libanaises et aux autres partis souverainistes dès qu’ils évoquaient les armes du « Hezbollah » ou soutenaient la proposition américaine au Conseil, ont cette fois échoué. En dépit de l’opposition du « Hezbollah », les ministres représentant les Forces libanaises sont restés fermes, exigeant à plusieurs reprises un calendrier précis de désarmement et l’exclusivité des armes entre les mains de l’État.

Les tentatives d’intimidation du « Hezbollah » – qu’il s’agisse de ses défilés de motos ou de la rhétorique menaçante de son secrétaire général adjoint, le cheikh Naïm Qassem – n’ont pas dissuadé le gouvernement d’agir. Les propos de Qassem, tenus le jour même de la séance, ont peut-être même renforcé la détermination de ministres jusque-là hésitants. La décision a été adoptée à l’unanimité, à l’exception des alliés du « Hezbollah » et d’une réserve émise par le ministre chiite Fadi Makki sur un point précis.

Qassem est revenu à son slogan habituel de « l’armée, le peuple et la résistance », assurant qu’Israël n’oserait pas intensifier son agression car « des missiles tomberont au cœur de l’entité sioniste et la sécurité qu’elle a bâtie en huit mois s’effondrera en une heure ». Mais des affirmations similaires ont déjà été faites : qu’Israël n’oserait jamais frapper Beyrouth ou la banlieue sud, ni même franchir le territoire libanais. Les fameux « 100 000 roquettes » brandis par le « Hezbollah » n’ont d’ailleurs jamais été tirés lors des 66 jours d’offensive israélienne.

Qassem a tenté de réinterpréter l’Accord de Taëf à la faveur du « Hezbollah », affirmant que « la résistance est inscrite dans Taëf et ne peut faire l’objet d’un vote  ; elle requiert un consensus national ». Or, les textes juridiques ne laissent pas place à de telles lectures, et l’Accord de Taëf stipule clairement que les armes doivent être exclusivement aux mains de l’État – une base sur laquelle s’est appuyé le gouvernement pour justifier sa décision.

Il a aussi rejeté tout calendrier de désarmement, estimant qu’un tel pas reviendrait à céder aux pressions d’Israël, des États-Unis et d’un pays arabe non nommé. Dans le même temps, il a invoqué la nécessité de « coopération entre les trois présidences » et averti : « Réglez d’abord le problème de l’agression israélienne, ensuite nous discuterons des armes. » Comme à l’accoutumée, il a eu recours aux accusations de trahison, mettant en garde contre « les agents de discorde interne aux mains tachées de sang, au service du projet israélien ».

La véritable crise du « Hezbollah » aujourd’hui ne réside pas seulement dans la perte du soutien gouvernemental, mais aussi dans l’effondrement de toute sa couverture politique. Un à un, ses alliés prennent leurs distances : Wiam Wahhab, le général Michel Aoun et son Courant patriotique libre, Fayçal Karamé, et plus récemment le Mouvement Marada par la voix du député Tony Frangié. Les armes du « Hezbollah » se retrouvent désormais orphelines sur le plan politique.

La décision gouvernementale a suscité des réactions dans la base du « Hezbollah », certains comparant la décision du 5 août à celle du 5 mai 2008 qui avait précédé les événements violents du 7 mai. Ils préviennent que, comme à l’époque où le désarmement palestinien n’avait pas été appliqué, il en ira de même aujourd’hui, et que l’armée libanaise est désormais placée face au « Hezbollah ». Mais :

- Le « Hezbollah » est aujourd’hui incapable de reproduire un scénario du « 7 mai ». Sa situation militaire et sécuritaire est fragilisée, ses voies d’approvisionnement sont coupées et, contrairement à Doha 2008, il n’y a ni gain politique à espérer ni médiateur international prêt à intervenir.

- Le désarmement des factions palestiniennes – autrefois couvertes par le « Hezbollah » – deviendra bien plus simple une fois celui-ci désarmé.

- L’armée ne fait qu’accomplir son devoir constitutionnel : faire respecter la loi et garantir l’exclusivité des armes à l’État. Quiconque s’y oppose se place, par définition, en dehors de la légalité.

Avec cette décision du Conseil des ministres, le Liban tourne non seulement la page des armes du « Hezbollah », mais aussi celle de tout « l’Axe de la résistance ». Un geste symbolique mais révélateur : rebaptiser « l’Avenue Hafez el-Assad » près de l’aéroport en « Avenue Ziad Rahbani ». D’autres mesures similaires sont attendues dans les prochains jours.

Aucun pays ne peut assurer la sécurité de ses citoyens quand ses dirigeants sont paralysés par la peur – la peur d’appliquer la loi. C’est cette peur, en 1969, de confronter les armes palestiniennes, qui a semé les germes de la guerre civile de quinze ans à partir de 1975. Espérons que les dirigeants actuels sauront s’affranchir de cette même peur – avant qu’elle n’engendre à nouveau l’échec et la destruction.