« Mieux vaut tard que jamais. »
Ce proverbe bien connu, d’origine anglaise, s’applique parfaitement aujourd’hui aux autorités politiques libanaises. Après six mois d’hésitation, le gouvernement a enfin accepté d’inscrire à l’ordre du jour du Conseil des ministres la question de la « monopolisation des armes par l’État », dans le but d’aboutir à une décision publique et d’établir un calendrier pour le retrait de toutes les armes échappant à l’autorité de l’État, qu’elles soient libanaises ou non.
Pourtant, le malaise du gouvernement face à ce dossier l’a conduit à reporter la séance du Conseil des ministres — initialement prévue aujourd’hui — à mardi prochain, invoquant la concomitance avec une session parlementaire. En réalité, il s’agit d’une manœuvre claire visant à « écarter la coupe » et à retarder l’échéance. Mais l’exécutif se retrouve pris en étau entre deux pressions : l’une interne, émanant de forces politiques influentes au sein du gouvernement, et l’autre externe, venant des États-Unis, de l’Arabie saoudite et de la France — sans oublier la pression militaire constante d’Israël.
Peu importe les divergences rapportées au sein du « trio dirigeant » — avec le Premier ministre Nawaf Salam favorable à une session décisive, le président Joseph Aoun prônant la prudence et le président du Parlement Nabih Berri exprimant des réserves —, aucun des trois n’a plus le luxe de gagner du temps. Washington, Riyad et Paris ont adressé des messages fermes et sans équivoque : le temps des manœuvres est révolu.
Il est clair qu’il est dans l’intérêt du président, en particulier, de se décharger du fardeau de la question des « armes » et de le transférer à l’autorité entière de l’exécutif. Cela d’autant plus après avoir reconnu lui-même que son dialogue avec le « Hezbollah» pendant plusieurs mois n’avait permis que de « lents progrès» — une expression qui, dans le langage des négociations politiques, dissimule souvent un blocage ou un échec.
Ce qui semble avoir réellement poussé les responsables libanais hésitants à agir n’est pas seulement la fermeté des Américains et des Saoudiens, mais surtout le virage opéré par la France.
Pendant cinq ans, Paris avait abordé la question de l’armement du « Hezbollah» avec une certaine souplesse, privilégiant les réformes et l’organisation de conférences de soutien financier. Mais la France en est venue à conclure que la véritable priorité pour sauver le Liban réside dans la restauration du pouvoir décisionnel souverain de l’État et de son autorité exclusive sur les armes, la guerre et la paix. Il est également apparu que le renouvellement du mandat de la FINUL ne se fera pas cette fois-ci selon la procédure habituelle et aisée, mais qu’il sera assorti de conditions urgentes.
Le Premier ministre Nawaf Salam a pris connaissance de ce tournant français majeur directement auprès du président Emmanuel Macron lors de leur récente rencontre. Il l’a ensuite transmis à ses homologues Aoun et Berri. Confrontés à cette réalité difficile, les trois ont cédé, quoique à contrecœur. Ils tentent désormais une ultime manœuvre pour gagner du temps : « attendre » la réponse de l’émissaire américain Tom Barrack. Et ce, bien que Barrack ait déjà clairement exprimé sa position — à la fois dans un tweet appelant à passer « des paroles aux actes » et dans les déclarations du nouvel ambassadeur américain au Liban, Michel Issa, devant la commission des Affaires étrangères du Sénat, affirmant que le désarmement « n’est pas une option, mais une nécessité».
Avant d’en arriver à ce tournant difficile, il y avait eu une tentative d’atténuer la pression internationale — ou d’apaiser les capitales décisionnelles — par le biais de la condamnation à mort, prononcée par le tribunal militaire, de l’assassin du soldat irlandais de la FINUL en décembre 2022, membre du « Hezbollah». Il est de notoriété publique que ce verdict avait reçu au préalable l’aval du tandem Amal–Hezbollah en échange d’une réduction drastique des peines pour six autres accusés. La question de la remise du condamné reste cependant controversée, compte tenu des précédents similaires.
La décision du gouvernement de régler la question du « monopole des armes » avec un calendrier d’exécution comporte toutefois deux risques.
Le premier réside dans les divisions profondes au sein du Conseil des ministres entre partisans du désarmement et opposants, un fossé qui pourrait empêcher l’adoption d’une résolution décisive et fragiliser l’exécutif, voire provoquer sa chute.
Le second risque est la tentation de recourir à des formulations ambiguës ou conditionnelles — comme l’ont fait les gouvernements précédents dans leurs manœuvres verbales —, ce qui aboutirait au même résultat : l’instabilité politique.
Il n’est un secret pour personne que les puissances internationales et arabes, qui suivent de près les performances du « trio dirigeant », ne fermeront pas les yeux sur l’un ou l’autre scénario : refus explicite de livrer les armes, que ce soit par principe ou en s’abritant derrière des délais indéfinis, ou dissimulation derrière des formulations floues et évasives de la décision requise.
Pour mettre fin à cette ambiguïté nuisible et à cette hésitation mortelle, les autorités n’ont d’autre choix que de cesser de se réfugier derrière l’excuse de la « peur de la guerre civile». Quant au « Hezbollah», qui refuse obstinément de renoncer à ses armes, il doit mesurer les dangers qui se profilent et trouver le courage d’admettre l’inutilité de son arsenal — et les graves préjudices qu’il cause à lui-même et au Liban —, même si l’Iran continue de l’exploiter comme l’une de ses dernières cartes régionales dans les négociations nucléaires.
Ce qui est certain, c’est qu’une décision tardive, de part et d’autre, vaut mieux qu’une immobilité prolongée dans l’absence de toute décision.