À moins de dix mois des élections législatives prévues en mai 2026, la machine électorale libanaise reste étonnamment au ralenti. Un paysage politique instable, combiné à des défis pressants, plane comme une menace sur le scrutin — non seulement en influençant son cours, mais peut-être en balayant purement et simplement les urnes. Dans un pays où l’instabilité est la norme, chaque rendez-vous démocratique se déroule en apnée, tandis que les échappatoires constitutionnelles pour prolonger ou renouveler les mandats restent prêtes à l’emploi.
Premier écueil : la loi électorale actuelle — en particulier l’article 112, qui réserve six sièges parlementaires aux expatriés, répartis à parts égales entre musulmans et chrétiens sur les différents continents. Cette disposition, déjà suspendue lors des élections de 2018 et 2022, reste l’objet de vifs débats. D’un côté, le Courant patriotique libre (CPL) et le duo chiite — « Hezbollah » et Amal — insistent pour son application. De l’autre, une large coalition s’y oppose : des expatriés eux-mêmes aux partis politiques menés par les Forces libanaises, en passant par des députés indépendants, réformistes, et le Patriarcat maronite à Bkerké.
Dans une intervention notable lors de la fête de Saint Charbel à Annaya, le patriarche maronite, le cardinal Béchara Boutros Raï — en présence du président Joseph Aoun — a appelé à l’abolition de cet article. Selon lui, limiter les expatriés à six sièges contrevient au principe d’égalité entre résidents et diaspora, consacré par la Constitution, et compromet leur droit à une participation politique pleine et entière.
Au-delà du débat sur la représentativité, l’insistance sur ces six sièges — en l’absence de mécanismes clairs de répartition par confession, continent ou centres de vote — reste une mine politique. Y remédier supposerait de libérer le Parlement des manœuvres « discrétionnaires » du président Nabih Berri, telles que le blocage de la proposition urgente visant à abroger l’article 112, ou la modification du règlement interne en retirant son caractère d’urgence — alors même que seule l’Assemblée générale peut en décider ainsi.
Mais l’enjeu dominant, et potentiellement le plus explosif, reste l’arsenal du « Hezbollah » — un dossier trop urgent pour attendre des « délais » politiques, des assurances personnelles ou le rythme lent d’un dialogue avec le président. Si Aoun affirme que « les négociations progressent, quoique lentement », l’évolution régionale, elle, avance à vive allure. Ses garanties sur « des réponses positives » aux idées discutées restent insuffisantes : il faut des mesures concrètes et un calendrier, non de vagues déclarations d’intention.
L’envoyé présidentiel américain Tom Barrack a délivré un message plus tranchant sur la plateforme X, en réponse directe, semble-t-il, aux déclarations d’Aoun et à la mollesse du gouvernement : « La crédibilité du gouvernement libanais dépend de sa capacité à concilier principe et pratique. Comme ses dirigeants l’ont dit à maintes reprises, l’État doit seul détenir les armes. Tant que le « Hezbollah » conservera ses armes, les déclarations ne suffiront pas. » Ses propos faisaient écho à un avertissement ferme lors de sa dernière visite à Beyrouth, où il avait exposé trois points :
- Le désarmement du « Hezbollah » est une question strictement interne au Liban.
- Pour les États-Unis, le « Hezbollah » est une organisation terroriste.
- Il n’existe aucune garantie et Washington ne peut contraindre Israël en quoi que ce soit.
L’obstination du « Hezbollah », associée à une réaction présidentielle timide, risque de plonger le pays dans des eaux troubles — ouvrant la voie à une nouvelle série de frappes israéliennes qui pourraient dépasser en intensité celles des attaques aux pagers de septembre dernier. Si un tel affrontement se produisait à l’approche des élections, le scrutin pourrait être annulé.
En dehors de ce scénario extrême, deux autres hypothèses se dessinent : soit la question des armes est réglée avant les élections, soit le « Hezbollah » parvient à gagner du temps et se présente à nouveau au scrutin sous l’ombre de son arsenal. Dans les deux cas, les armes domineront les élections :
- Si elles demeurent, elles écraseront tous les programmes électoraux. Les agendas économiques, de développement ou de réforme deviendront caducs — ou impossibles à mettre en œuvre — en leur présence.
- Si elles disparaissent, elles façonneront tout de même l’échéance, marquant le changement le plus important par rapport aux cycles précédents, même si le court délai en limitera l’impact concret. Ce bouleversement coïnciderait avec la sortie confirmée du Courant du Futur de la scène politique, affaiblissant son poids électoral en raison :
- de la perte de la « carte présidentielle » qu’il avait brandie en 2018 et, dans une moindre mesure, en 2022,
- des divisions internes qui minent le mouvement de haut en bas,
- de l’essoufflement de l’élan du 17 octobre, la « griserie » des réformistes ayant laissé place à la « gueule de bois » de la désillusion, révélant les profondes divisions entre leurs partisans et députés, notamment sur les armes du « Hezbollah » et d’autres questions de souveraineté.
Les semaines et mois à venir seront décisifs. Seul le temps dira si les armes du « Hezbollah feront dérailler les élections législatives — ou en seront-elles la vedette. ?