Deux journées intenses sur les plans politique et diplomatique – remplies de déclarations, d’ambiguïtés déguisées en clarté (ou l’inverse) – ont marqué la visite de l’envoyé présidentiel américano-libanais, Thomas Barrack, à Beyrouth. Sa présence a plongé le Liban dans une attente pesante et incertaine. Les responsables ignorent ce que l’avenir leur réserve, tandis que les citoyens s’interrogent sur le sort qui leur est destiné.

Tous les acteurs concernés par la mission de Barrack – à savoir la direction politique libanaise, le Hezbollah et l’opposition – ont interprété ses déclarations, ainsi que la réponse libanaise en 15 points à sa feuille de route, selon leurs propres attentes et récits. Pourtant, tous restent sur le qui-vive, conscients des signaux subtils mais tranchants qu’il a émis. Les plus significatifs :

A. La répétition par Barrack que l’armement du Hezbollah est une « affaire intérieure libanaise » indique clairement une volonté de dissocier cette question de l’Iran – que ce soit dans le cadre de la guerre en cours ou des négociations éventuelles. Un message qui contredit les paris de la banlieue sud et de Téhéran. Cela suggère aussi un démantèlement du concept d’« unité des fronts » et un éloignement de l’« axe de la résistance ». Il trace une ligne de séparation entre quatre fronts actifs : l’Iran, le Yémen, Gaza et le Liban, avec une extension jusqu’à l’Irak.

B. La double caractérisation du Hezbollah par Barrack – d’abord en tant que parti politique libanais, ensuite comme organisation terroriste – laisse entrevoir deux voies possibles : soit un désarmement pacifique et une intégration au paysage politique, comme le souhaitent les trois têtes de l’exécutif libanais (Baabda, Aïn el-Tiné et le Sérail), soit un traitement similaire à celui d’organisations terroristes comme Daech, incluant un recours possible à la force militaire. Dans cette logique s’inscrivent les rumeurs croissantes d’une opération militaire israélienne imminente, que reflètent les évacuations observées dans certaines positions du Hezbollah.

C. Son affirmation qu’aucun calendrier précis n’est fixé pour le désarmement, combinée à l’avertissement selon lequel le président Trump « perd patience », envoie un double message au Liban et au Hezbollah : la fenêtre d’opportunité n’est pas illimitée. De nombreux observateurs, diplomates et analystes s’accordent désormais à penser que la date butoir se situe dans trois mois, soit en octobre.

D. Bien qu’il ait pris connaissance de la réponse officielle du Liban, Barrack n’a laissé entendre aucun ajustement du calendrier initial de sa feuille de route. Celle-ci repose sur une séquence synchronisée d’étapes : Israël cesse ses frappes pendant que le Hezbollah engage son désarmement. Mais le calendrier du Hezbollah diverge : il exige d’abord la fin des frappes israéliennes, des retraits militaires, la libération de prisonniers et le lancement de la reconstruction, avant d’accepter d’aborder une « stratégie de défense » visant en réalité à maintenir ses armes sous une autre forme.

E. Le silence de Barrack sur les garanties réclamées par le Hezbollah laisse penser que la priorité est donnée au désarmement et au retrait israélien. Les garanties – si elles existent – seront ensuite fournies à l’État libanais, une fois que le Hezbollah sera intégré aux institutions nationales au même titre que les autres forces politiques et militaires.

Les échos de la visite de Barrack se font désormais sentir à Washington, Tel-Aviv et Beyrouth. Les États-Unis analysent la réponse libanaise pour décider du moment de son retour et du message final qu’il devra porter. Israël, de son côté, évalue la possibilité de nouvelles frappes ou d’une trêve dans cette période d’attente. Au Liban, la « troïka » présidentielle semble unie, mais l’ambiguïté du Hezbollah jette une ombre épaisse sur la suite.

La double posture du Hezbollah – se disant en soutien à l’État tout en conservant ses armes – menace de paralyser la direction politique et de compromettre l’initiative américaine. Si Washington se retire, comme Barrack l’a laissé entendre, le Liban pourrait être abandonné à son sort. Et ce sort, à l’ombre des aventures militaires du Hezbollah, serait plus sombre encore que son effondrement actuel. Les frappes israéliennes, désormais étendues du Sud à la Békaa et au Nord, ne sont qu’un avant-goût de ce qui pourrait survenir.

Si la « guerre de soutien » de 2006 a été menée au sommet de la puissance du Hezbollah, à quoi pourrait ressembler son prochain conflit dans un contexte marqué par quatre changements majeurs : des capacités réduites, la perte de sa majorité politique et populaire, une relation détériorée avec la Syrie, et une décision israélienne de désarmement total ? Pendant ce temps, l’Iran est acculé entre des négociations intenses et le risque imminent de reprise de la guerre.

Quant à l’optimisme récemment exprimé par le patriarche maronite Béchara Raï à Baabda – affirmant que « le Liban n’est pas abandonné » – il ne tient qu’à une condition : que le Liban ne s’abandonne pas lui-même. La responsabilité incombe désormais à ses dirigeants : faire preuve de courage, de clarté et de vision.

N’est-ce pas exactement ce qu’a voulu dire Barrack par son dernier avertissement avant de quitter Beyrouth :

« Plus personne ne négociera avec le Liban l’année prochaine. Si vous ne voulez pas de changement… dites-le-nous tout simplement. »