En diplomatie, le message compte bien plus que le messager. Si les envoyés peuvent adapter la forme — avec élégance ou brutalité— le fond de leur mission est défini par la politique de leur État, non par leur personnalité. Seules les sociétés naïves s’attardent sur la présentation et sur les individus, plutôt qu’à la portée du message. Cette approche était claire, lorsque l’envoyée américaine Morgan Ortagus fut remplacée par l’ambassadeur Thomas Barrack — un changement que certains, de manière absurde, ont présenté comme une victoire pour l’axe de la « résistance ».

Arrivé à Beyrouth le 7 juillet 2025, Barrack venait chercher une réponse à la proposition qu’il avait soumise le 19 juin. Il a reçu ce qui fut présenté comme des « idées libanaises pour une solution globale », un document rédigé par la « troïka » présidentielle libanaise en coordination avec le « Hezbollah » — par l’entremise, comme toujours, du « grand frère », le président du Parlement Nabih Berri. Depuis le palais présidentiel de Baabda, Barrack a prononcé une longue déclaration, débordant d’optimisme apparent mais truffée de messages implicites — du poison dans du miel diplomatique.

Ses racines libanaises étaient évidentes ; sa diplomatie flirtait avec le style traditionnel du « baisemain politique » typique au Liban. Mais il y avait aussi un soupçon de Zahlé — cette ville réputée pour son hospitalité, sa joie de vivre et sa nature enjouée. Un charme qui, toutefois, masque souvent une fermeté inébranlable quand il s’agit de principes fondamentaux.

Barrack qualifia la rencontre de « satisfaisante » et salua la réponse rapide et équilibrée du Liban. Pourtant, il éluda un point crucial : le diable ne se cache pas seulement dans les détails, mais dans les fondements — à savoir l’arsenal du Hezbollah, que la réponse libanaise n’a pas abordé clairement. Pressé de commenter les modifications apportées à la proposition initiale, il a rapidement modéré ses louanges, précisant que les sept pages reçues feraient l’objet d’une étude, et qu’une réponse officielle serait transmise via l’ambassadrice américaine.

Certains Libanais se sont réjouis de voir Barrack qualifier à plusieurs reprises le « Hezbollah » de « parti politique », oubliant que le Trésor américain venait juste de sanctionner sept personnes liées au « Hezbollah » et à sa branche financière, Al-Qard Al-Hassan. L’expérience de Barrack dans le monde des affaires — et non dans les cercles diplomatiques ou sécuritaires — ne change en rien la position officielle de Washington à l’égard du « Hezbollah », classé comme organisation terroriste depuis les attentats contre l’ambassade américaine et la caserne des marines à Beyrouth en 1983, qui ont coûté la vie à 241 militaires américains.

En ôtant les ornements diplomatiques, l’essentiel du message de Washington, sous l’ère Barrack, devient limpide :

1. Aucune garantie de la part de Washington

Les États-Unis refusent de porter toute responsabilité ou d’offrir des garanties. Concernant le cessez-le-feu de novembre 2024, Barrack a précisé : « Ce n’était pas un échec américain — il n’y avait jamais eu de garantie sécuritaire formelle pour Israël. Il existait un mécanisme, mais les conditions du cessez-le-feu étaient insuffisantes. Aucun camp ne faisait confiance à l’autre. » Aujourd’hui, il n’est même plus question de garanties. En privé, Barrack a admis ne pas connaître la réaction d’Israël.

2. C’est le problème du Liban, pas le nôtre

Le message est brutalement clair : « Les États-Unis ne négocient pas avec le « Hezbollah ». Nous ne vous dicterons pas quoi faire. Si vous souhaitez de l’aide, nous sommes prêts à vous accompagner — mais les pièces du puzzle sont entre vos mains. » Il a ajouté, de manière rhétorique : « Si le « Hezbollah » est un parti politique, pourquoi l’Amérique, la France ou le Royaume-Uni viendraient-ils le démanteler à votre place ? C’est votre problème. À vous de le résoudre. » En somme : aucun ami étranger ne fera le travail à la place du Liban. Soit l’État agit en tant que tel, soit il laisse place au chaos.

3. Saisir l’opportunité ou rester à la traîne

Barrack ne mâche pas ses mots : « La région est en pleine transformation. Si vous voulez le changement, c’est à vous de le concrétiser. Nous vous soutiendrons. Mais si vous choisissez l’inaction, très bien — sachez simplement que la région avancera, et que le Liban sera laissé loin derrière. »

4. Promotion des accords d’Abraham

Barrack a vanté les vertus de la paix et de la prospérité, décrivant Israël comme cherchant la stabilité, non la domination. Il a laissé entendre que le Hezbollah pourrait aussi bénéficier d’une future intégration régionale — à condition d’embrasser la paix. Il a évoqué un dialogue entre Israël et la Syrie, appelant le Liban à relancer les négociations, affirmant que les anciennes résolutions comme la 1701 de l’ONU ou les références aux années 1967, 1974, 1982 ou 1993 n’ont plus la même pertinence.

5. Deux dossiers distincts : « Hezbollah » et l’Iran

Barrack a réaffirmé une ligne rouge de la diplomatie américaine : le dossier « Hezbollah » n’a rien à voir avec les négociations entre Washington et Téhéran. Une position qui reprend celle de sa prédécesseure Ortagus, et qui met fin aux espoirs de certains responsables libanais de voir la question du Hezbollah se régler dans le cadre d’un accord régional.

6. La patience de Trump a des limites

Bien que Trump témoigne d’un certain engouement pour le Liban — qu’il qualifie de « perle de la Méditerranée » — Barrack avertit : « Il y a d’autres choses que Trump souhaite accomplir dans sa vie. Mais s’il sent que le Liban veut vraiment avancer, il est prêt. Ne comptez simplement pas sur une patience illimitée. »

Depuis le déclenchement de la guerre le 7 octobre 2023 jusqu’au conflit de 66 jours en septembre 2024, les États-Unis n’ont cessé de mettre en garde le Liban contre l’enlisement dans les tensions régionales. Mais ces avertissements ont été ignorés. Le 21 octobre 2024, après une visite une fois encore infructueuse, l’émissaire Amos Hochstein a quitté Beyrouth sur ces mots : « La souffrance du peuple libanais me peine. Malgré 11 mois d’engagement, nous n’avons pas réussi à empêcher l’escalade. Une solution existait — elle a été rejetée. »

La question demeure : quelqu’un, au Liban, tirera-t-il enfin les leçons des échecs passés ? Ou bien continuera-t-on à gaspiller le temps, à répondre par des déclarations creuses, à danser au bord du gouffre — pour répéter avec Barrack le même scénario vécu avec Hochstein, et en payer une fois de plus le prix ?