Le Liban subit une pression croissante, tant interne qu’externe, pour désarmer le « Hezbollah ». Ceux qui exercent cette pression estiment qu’une occasion unique, à l’échelle locale, régionale et internationale, se présente pour atteindre cet objectif, et qu’une fois perdue, elle pourrait ne plus jamais se présenter à nouveau. Ils affirment que le Liban doit saisir cette chance, avertissant – comme l’a fait l’émissaire présidentiel américain Thomas Barrack – qu’elle ne sera plus jamais disponible.

Le nouvel élément marquant est l’entrée indirecte du nouveau régime syrien dans cette campagne de pressions. La chaîne israélienne i24 News cite ce qu’elle décrit comme des « sources syriennes proches de al-Charaa », affirmant que « la Syrie se prépare à reprendre le contrôle de la ville Libanaise de Tripoli, au nord du Liban, car elle faisait partie de la Syrie avant le mandat français », ajoutant : « En échange du Golan, la Syrie souhaite récupérer les régions libanaises à majorité sunnite. »

Plus inquiétant encore, les responsables syriens n’ont pas démenti ces propos, amplifiant les craintes au Liban. Des groupes armés syriens auraient entre-temps été détectées récemment près des frontières est et nord du Liban, ravivant d’anciens scénarios d’éventuelles incursions destinées à se venger du « Hezbollah » pour sa participation à la guerre en Syrie sous l’ancien régime. Parallèlement, Israël a relancé sa campagne militaire contre le « Hezbollah » du sud jusqu’à la vallée de la Bekaa, cherchant à anéantir ce qui reste des capacités militaires du groupe.

La crainte d’une possible incursion syrienne naît de la volonté de revanche affichée par les nouvelles autorités syriennes à l’égard du « Hezbollah » — un sentiment qu’elles ont exprimé à plusieurs reprises à des visiteurs libanais, en s’interrogeant sur la force du « Hezbollah » après les frappes israéliennes. On ignore si le grand mufti du Liban, le cheikh Abdel Latif Daryan, a réussi à apaiser ces tensions lors de sa récente visite à Damas. Au cours de ses rencontres avec les responsables syriens, il a évoqué le dicton : « Plus rares sont tes visites, plus aimé tu seras », salué « la nouvelle ère et le gouvernement prometteur au Liban », et insisté sur le fait que le salut du Liban passe par une coopération sincère et constructive avec son environnement arabe. Il a également exprimé son espoir d’une relation fraternelle entre le Liban et la Syrie, « sans susceptibilités ni problèmes créés de toutes pièces par ceux qui veulent du mal aux deux pays ».

Pour que les appels et espoirs de Daryan portent leurs fruits, la position et les actions de la Syrie envers le Liban doivent les refléter. Il en va de même pour certaines factions politiques et confessionnelles libanaises qui semblent vouloir se servir de la nouvelle direction syrienne comme levier contre leurs rivaux — au risque de menacer l’unité nationale. Conscient de ce danger, Daryan a d’ailleurs, à son retour, appelé à « tenir la politique à l’écart des lieux de culte ».

La question du désarmement — centrale dans le discours d’investiture présidentielle et dans la déclaration ministérielle du gouvernement — est également liée à la situation syrienne. Le « Hezbollah » reste attaché à ses armes, par crainte que la nouvelle direction syrienne n’ait pas renoncé à ses velléités de vengeance. Le mouvement ne changera probablement pas de position tant qu’il n’aura pas de garanties concrètes et apaisantes sur le terrain.

La proposition de Barrack

Concernant la venue imminente de l’émissaire américain pour recueillir la réponse libanaise à sa liste de questions et propositions, les discussions parlent de « jours décisifs avec des options limitées », suggérant que le destin du Liban oscille entre la paix et l’explosion. Cependant, la réponse libanaise repose sur un principe fondamental : la balle est dans le camp d’Israël. Le Liban a respecté le cessez-le-feu, le « Hezbollah » s’est entièrement retiré de la zone au sud du Litani, désormais sous le contrôle de l’armée libanaise et de la FINUL, tandis qu’Israël n’a ni respecté pleinement le cessez-le-feu ni procédé à un retrait complet des zones occupées.

La réponse libanaise exige que les garants américain et français contraignent Israël à respecter le cessez-le-feu et la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU. Le Liban craint que les propositions de Barrack ne soient en réalité des exigences israéliennes déguisées — visant à obtenir par la diplomatie ce qu’Israël n’a pu obtenir par la force : la reddition du Liban en échange du retrait israélien de cinq collines disputées et de leurs environs. Le Liban rejette ce scénario, de peur qu’un désaccord interne sur le désarmement ne déclenche une crise interne pouvant déboucher sur un conflit confessionnel — ce que personne ne souhaite.

La réponse du « Hezbollah »

La réponse du « Hezbollah » aux propositions américaines — déjà transmise aux trois plus hautes autorités libanaises — n’est plus un secret. Son secrétaire général adjoint, le cheikh Naim Qassem, l’a résumée lors des commémorations de l’Achoura : « Israël est le problème, pas la résistance. La résistance est une solution  ; le maintien d’Israël est la véritable crise que nous devons affronter ». Qassem a évoqué deux étapes successives : d’abord l’accord, ensuite l’application de la résolution 1701, exigeant qu’Israël se retire des territoires occupés, cesse ses agressions et libère les prisonniers, avant d’entamer la reconstruction. Il a ajouté : « Nous sommes prêts pour la deuxième phase… Nous avons toute la flexibilité nécessaire pour parvenir à un consensus. Mais, laissez-nous gérer cela nous-mêmes. »

Des jours critiques et dangereux

Le Liban traverse des jours délicats et périlleux, pris entre deux choix douloureux. S’il accepte les propositions américaines — que les trois présidents libanais ont qualifiées, de manière implicite et explicite, d’exigences israéliennes — il aurait capitulé et se serait engagé sur la voie de la normalisation avec Israël, selon une feuille de route libano-syrienne qui aurait été élaborée par Donald Trump et Benjamin Netanyahu.

Pire encore, si les informations alarmantes relayées par une chaîne israélienne s’avèrent exactes — suggérant que la Syrie souhaite récupérer la Bekaa et le nord du Liban comme « terres historiques » en échange de l’abandon du Golan — Israël pourrait s’emparer de ce récit pour revendiquer à son tour ses soi-disant « terres historiques » au Liban (ainsi qu’en Syrie, en Jordanie et en Arabie saoudite), comme l’avait menacé le ministre israélien des Finances Bezalel Smotrich il y a quelques mois. Si la Syrie annexait la Bekaa et le nord — territoires rattachés au Liban en 1920 lors de la création du « Grand Liban » — et qu’Israël s’emparait du sud jusqu’à Saïda, il ne resterait plus du Liban que Beyrouth et le Mont-Liban, entre Chouf et Batroun.

Le projet est-il donc de ramener le « Pays des Cèdres » aux jours de la Mutasarrifiya, des Caïmacamats, ou à l'ère des privilèges ottomans ?