Dans un pays secoué par des crises sans fin — de l’effondrement économique aux turbulences politiques, en passant par les guerres récurrentes dans la région — la désinformation est devenue une menace aussi redoutable que les crises elles-mêmes. C’est pourquoi le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a lancé une campagne nationale depuis Beyrouth sous le slogan « Pourquoi s’inquiéter pour rien ? », en partenariat avec le gouvernement allemand via la Banque allemande de développement. Cette initiative vise à combattre les fausses informations et à promouvoir une culture de vérification des faits et de résilience psychologique au sein de la société libanaise.
S’exprimant en exclusivité pour AlSafa News, Bertha Alco, représentante résidente du PNUD au Liban, a déclaré :
« Nous travaillons en permanence avec les jeunes pour lutter contre les fausses nouvelles et les informations trompeuses, et limiter la diffusion de contenus erronés, en raison de leurs effets néfastes sur la société. Aujourd’hui, nous célébrons les fruits de trois années de formation et de travail avec plus de 180 jeunes hommes et femmes, qui sont devenus l’avant-garde dans les salles de rédaction libanaises, vérifiant les informations et construisant un paysage médiatique plus responsable. »
Désinformation systématique… et impact psychologique profond
La campagne arrive à un moment où les fausses nouvelles font partie du quotidien au Liban, notamment en période de crise, comme la récente guerre dans le sud du pays ou l’escalade entre l’Iran et Israël, avec leur lot de contenus fabriqués qui alimentent la peur collective et attisent les tensions. Dans ce contexte, Claire Basbous, coordinatrice de projet à l’association « Dawaer », chargée de mettre en œuvre l’initiative, a expliqué à Al-Safa News :
« Notre objectif n’est pas seulement de sensibiliser, mais aussi d’atténuer les impacts psychologiques graves que les fausses informations provoquent chez les gens, en particulier lors des moments d’anxiété collective. Il existe une large partie du public qui partage, sans le vouloir, des informations inexactes et devient ainsi un instrument de propagation des mensonges sans en avoir conscience. »
L’intelligence artificielle : outil de destruction ou de salut ?
Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est une arme à double tranchant. Ses technologies facilitent la production de fausses informations hyperréalistes, souvent impossibles à distinguer de la réalité. Youssef El Amin, rédacteur en chef de la plateforme « Sawab » spécialisée dans la vérification de l’information, a mis en garde dans un entretien avec Al-Safa News :
« La désinformation s’intensifie en période de guerre, lorsque les armées numériques des parties en conflit diffusent des contenus déformés et soigneusement élaborés, visant à créer un chaos médiatique. La solution commence par la sensibilisation du public, l’encouragement à collaborer avec les vérificateurs de faits et l’utilisation d’outils de vérification fiables, plutôt que de partager des informations à la légère. »
Un journalisme responsable et une société civile active
Plus de 180 journalistes et étudiants ont été formés aux techniques de vérification, à la lutte contre les discours de haine et à la production de contenus sensibles aux dynamiques des conflits. Ces jeunes, qui font désormais partie des salles de rédaction des plus grandes institutions médiatiques libanaises, constituent la première ligne de défense contre la désinformation.
Lors d’une session spéciale organisée dans le cadre de la campagne, journalistes et experts ont souligné l’importance de la coordination entre les institutions médiatiques et la société civile pour instaurer un environnement informationnel sain. Les participants ont unanimement convenu que les médias ne peuvent survivre aux « infiltrations » qu’avec un système de formation complet, une culture quotidienne de la vérification et des outils technologiques avancés pour contrer les fausses informations.
De la campagne vers une stratégie nationale ?
La campagne va bien au-delà d’une simple activité de sensibilisation ; elle constitue une étape vers l’établissement d’une culture médiatique alternative, où la vérification devient une responsabilité collective et non l’apanage des seuls journalistes. Elle met aussi en lumière un aspect souvent négligé des crises libanaises : le stress psychologique causé par un contenu médiatique irresponsable, rarement pris en compte dans l’analyse des causes de l’anxiété généralisée.
Cependant, malgré les efforts déployés, il demeure urgent de mettre en place un cadre juridique pour réguler les contenus numériques, sanctionner les diffuseurs de mensonges et renforcer les plateformes médiatiques. L’intégration des compétences de vérification de l’information dans les programmes scolaires est également devenue une nécessité, et non plus un choix, face à la frénésie numérique croissante.
De « Pourquoi s’inquiéter pour rien ? » aux salles de rédaction, une expérience concrète est en train de redéfinir le rôle des médias au Liban. C’est une bataille contre la désinformation, menée par l’éducation, la force de la jeunesse et une prise de conscience collective encore en formation. Réussirons-nous un jour à faire en sorte que la vérité se propage plus vite que le mensonge ?
La réponse commence peut-être ici.