Alors que les tensions entre l’Iran et Israël s’intensifient et que les frappes mutuelles se multiplient, le transport maritime mondial est ébranlé comme jamais auparavant, notamment après les menaces iraniennes de fermer le détroit d’Hormuz, une artère vitale par laquelle transite près de 20 % du commerce mondial de pétrole. Cette escalade militaire pèse lourdement sur le commerce international, en particulier dans des pays comme le Liban, largement dépendant des importations maritimes. Le pays en ressent déjà les conséquences : retards dans les livraisons, explosion des coûts d’importation et premiers signes d’une crise de consommation qui commence à se dessiner sur les marchés locaux.

La crainte d’une fermeture du détroit d’Hormuz a poussé de nombreuses compagnies maritimes à dévier leurs routes, évitant ce passage stratégique. Elles optent désormais pour des trajets bien plus longs via le cap de Bonne-Espérance, ce qui a doublé les délais et les coûts d’acheminement. Les prix du transport des conteneurs depuis l’Asie vers le Moyen-Orient et l’Europe ont grimpé jusqu’à 50 %, tandis que les primes d’assurance des navires passant par les zones de conflit ont flambé en raison de ce qu’on appelle désormais une « surprime de guerre ».

Au Liban, la crise s’est manifestée de façon très concrète, notamment dans l’importation des denrées alimentaires, des vêtements et des produits électroniques. L’expert régional du transport maritime, Sami Mohandro, souligne que les expéditions en provenance de Chine, d’Inde et du Bangladesh vers le port de Beyrouth subissent désormais des retards allant de deux semaines à un mois, en raison des perturbations dans les ports du Golfe ou des détournements des navires hors du détroit d’Hormuz. Les commerçants libanais ressentent fortement l’impact. Parmi eux, Karen Shamas, propriétaire d’une boutique de vêtements féminins à Beyrouth : « Nous attendons notre collection d’été en provenance de Chine depuis début juin, mais elle n’est toujours pas arrivée. Les clientes ont perdu tout intérêt pour la saison. » Elle ajoute que le coût du transport maritime a doublé, la contraignant à augmenter ses prix de 30 %.

Et l’impact ne se limite pas à la mode. Rami Daher, propriétaire d’une boutique en ligne spécialisée dans les vêtements importés, explique que sa dernière commande est bloquée depuis plus de 20 jours au port de Jebel Ali, à Dubaï, en raison de l’encombrement des navires et de la réorganisation des plannings. « Nous avions prévu une grande opération de soldes de fin de saison, dit-il, mais nous n’avons toujours pas reçu la marchandise — et nous ignorons si nous pourrons répondre à la demande saisonnière. »

L’approvisionnement alimentaire est également sous pression. Le Liban importe la majorité de ses produits alimentaires de base — riz, huiles, lentilles, poissons en conserve — d’Asie et de Turquie. Avec les retards actuels, les grandes enseignes ont commencé à augmenter progressivement leurs prix, tandis que les importateurs réduisent leurs volumes de commandes face à la flambée des coûts. Le Syndicat des importateurs de denrées alimentaires a d’ailleurs averti que, si les délais persistent, les stocks actuels ne suffiront que pour deux mois.

Sur le front de l’énergie, la hausse des prix mondiaux du pétrole, alimentée par les perturbations de la navigation dans le Golfe, menace de renchérir encore davantage le coût des carburants au Liban. Le pays importe la majeure partie de ses besoins pétroliers sur les marchés internationaux, souvent via des routes maritimes passant par le Golfe. Avec un baril de pétrole désormais au-dessus de 85 dollars, les Libanais ressentent déjà le poids supplémentaire sur le prix de l’essence et du mazout, ce qui se répercute sur les coûts de transport et, par ricochet, sur l’ensemble des prix à la consommation.

Dans ce contexte, l’expert en économie maritime, le Dr Nabil Abdel Sater, estime que la crise pourrait se prolonger si les tensions dans le détroit d’Hormuz ne sont pas apaisées. « Le Liban paie le prix deux fois : d’abord à travers les retards des marchandises, ensuite à travers la hausse des coûts », explique-t-il. « Nous sommes un pays qui importe plus de 80 % de ce qu’il consomme. Tout déséquilibre dans les chaînes d’approvisionnement se traduit immédiatement par une hausse des prix et un affaiblissement du pouvoir d’achat. »

Face à cette situation, le secteur commercial libanais est plongé dans l’incertitude et l’inquiétude. Commerçants et importateurs observent avec anxiété l’évolution de la crise dans le Golfe, alors qu’aucune stratégie d’urgence gouvernementale ne semble prévue pour soutenir les importations, stabiliser les prix ou orienter les importateurs vers des sources alternatives à court terme.