La position de la Chine sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie a fait l’objet d’un examen et de débats intenses parmi les décideurs du monde entier. Officiellement, Pékin maintient une position de neutralité et appelle à la paix, mais ses actions et sa rhétorique révèlent une approche plus complexe et calculée. La théorie dominante veut que la Chine tire profit d’un conflit prolongé, préférant ni une victoire décisive de la Russie ni sa défaite. Cette théorie reflète la réalité nuancée des intérêts stratégiques chinois.

Rhétorique officielle : Avocat de la paix, impartialité

Lorsque la Russie a tenté de bouleverser l’équilibre géopolitique en cherchant à renverser le gouvernement de Kiev en février 2022, la Chine a constamment appelé à un règlement négocié, exhortant toutes les parties à rechercher une solution pacifique. Les responsables chinois, dont le ministre des Affaires étrangères Wang Yi, ont répété que la Chine soutient « tous les efforts favorables à la paix » et que sa position est « objective, impartiale, rationnelle et pragmatique ». Dans les forums internationaux, y compris à l’ONU et au G20, la Chine a réaffirmé son soutien aux pourparlers de paix et a parfois voté en faveur de résolutions appelant à la fin du conflit.

Cependant, la Chine s’est également abstenue lors de votes condamnant explicitement la Russie ou exigeant son retrait inconditionnel d’Ukraine, signalant ainsi sa réticence à s’aliéner Moscou. Les communications officielles de Pékin insistent sur le respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, mais évitent de critiquer directement les actions russes.

Les actes parlent plus fort

Malgré sa rhétorique neutre, les actions de la Chine penchent en faveur de la Russie, notamment sur les plans économique et technologique. Alors que les sanctions occidentales ont isolé la Russie, la Chine est devenue une bouée de sauvetage économique essentielle, augmentant les échanges, fournissant des composants critiques et affaiblissant l’efficacité des sanctions internationales. Des rapports de l’OTAN et d’autres sources occidentales soulignent le rôle de la Chine dans la fourniture de technologies à double usage, telles que les microélectroniques, vitales pour la production militaire russe.

Des allégations — démenties par Pékin — font également état de livraisons de poudre, de composants d’artillerie, voire de drones ou de technologies de drones à la Russie. La Chine affirme ne pas fournir d’armes létales à aucune des parties, mais le transfert de biens à double usage et le renforcement des liens économiques ont été essentiels pour soutenir l’effort de guerre russe.

Calculs stratégiques : Guerre prolongée ?

Le soutien de la Chine à la Russie s’inscrit dans un calcul stratégique plus large, façonné par sa rivalité avec les États-Unis et l’Occident. Plusieurs intérêts fondamentaux sous-tendent l’approche chinoise :

- Affaiblir l’Occident : La guerre en Ukraine mobilise les ressources, l’attention et le capital politique des États-Unis et de l’Europe. Un conflit prolongé distrait et divise l’Occident, limitant sa capacité à se concentrer sur l’Indo-Pacifique et à contrer l’ascension de la Chine.

- Préserver le régime de Poutine : Pékin considère la stabilité du régime de Poutine comme essentielle pour maintenir une puissance amie et anti-occidentale à sa frontière nord. Une défaite russe pourrait déstabiliser le Kremlin et conduire à un régime moins aligné sur la Chine ou plus susceptible d’être influencé par l’Occident.

- Éviter l’hégémonie russe : La Chine ne souhaite pas non plus une victoire décisive de la Russie, qui renforcerait Moscou ou bouleverserait l’ordre sécuritaire européen de manière imprévisible. Une Russie affaiblie et dépendante est plus malléable et utile aux intérêts de Pékin.

- Tester l’alliance : La guerre est devenue un test du partenariat sino-russe, les deux parties renforçant leur coopération contre la domination américaine. Les déclarations conjointes et les rencontres de haut niveau soulignent leur vision commune d’un « nouvel ordre mondial » non dominé par l’Occident.

Manœuvres diplomatiques : Ambiguïté stratégique

L’approche diplomatique de la Chine est marquée par l’ambiguïté stratégique. D’un côté, Pékin affiche son soutien à la paix et maintient le dialogue avec l’Ukraine, réaffirmant parfois le respect de la souveraineté ukrainienne. De l’autre, elle s’aligne rhétoriquement et matériellement avec la Russie, reprenant les narratifs du Kremlin sur les « causes profondes » du conflit et blâmant l’« ingérence » occidentale.

Les récentes rencontres de haut niveau entre Xi Jinping et Vladimir Poutine ont donné lieu à des déclarations conjointes qui reprennent de près les arguments russes, notamment l’opposition à l’expansion de l’OTAN et au « harcèlement » américain. Les deux dirigeants ont promis de renforcer leur coopération dans tous les domaines, y compris militaire, et de coordonner leurs efforts contre ce qu’ils décrivent comme des stratégies d’endiguement occidentales.

Des rapports persistants font état de ressortissants chinois combattant pour la Russie et d’entreprises chinoises fournissant des biens à usage militaire. Pékin a nié toute implication officielle, affirmant qu’il déconseille à ses citoyens de se rendre dans les zones de conflit et qu’il ne fournit pas d’aide létale. Néanmoins, les renseignements ukrainiens et occidentaux ont documenté des cas de ressortissants chinois dans les forces armées russes et de composants chinois dans l’armement russe.

La Chine souhaite-t-elle une guerre prolongée ?

Les éléments disponibles suggèrent que les intérêts de la Chine sont effectivement mieux servis par un conflit prolongé sans issue claire. Pékin ne souhaite pas la défaite de Poutine, qui déstabiliserait un partenaire clé et renforcerait l’Occident. Mais elle ne veut pas non plus une victoire décisive de Poutine, qui bouleverserait l’équilibre eurasiatique et réduirait la dépendance de la Russie envers la Chine.

La Chine profite donc d’une guerre qui affaiblit à la fois la Russie et l’Occident, accroît la dépendance de Moscou envers Pékin et détourne l’attention américaine de l’Indo-Pacifique. Cette approche permet à la Chine d’étendre son influence, de tester son alliance avec la Russie et de façonner à son avantage l’ordre mondial émergent.