Le 26 juin dernier marquait, comme chaque année, la « Journée internationale de lutte contre l’abus et le trafic de drogues ». Mais au Liban, cette occasion dépasse de loin les slogans mondiaux symboliques ou les campagnes de sensibilisation. Elle résonne comme une alerte dans un pays en proie à un effondrement économique, un État affaibli et un système parallèle qui prospère sur le chaos et le vide sécuritaire.
Trafic de drogue : un État dans l’État
Dans les chaînes montagneuses à l’est du Liban et les zones frontalières, des laboratoires et usines clandestines opèrent pour produire diverses drogues, notamment le Captagon, dans un cycle de production si vaste que l’État est incapable de compter — sans parler de démanteler ou de poursuivre. Il ne s’agit pas d’actes criminels isolés, mais d’un système quasi-intégré, avec réseaux de financement, armement et connexions politiques et économiques, qui rivalise avec l’État dans ses zones d’influence, voire dans certaines de ses fonctions.
Dans ce contexte, exhiber les quantités de drogues saisies ou organiser des campagnes de sensibilisation ne suffit plus. Le Liban risque désormais de devenir un « centre régional de la drogue », avec des revenus annuels dépassant 4 milliards de dollars provenant du commerce du cannabis, de l’héroïne et du Captagon. Plus de 75 % de ces drogues sont exportés vers l’Europe et l’Amérique du Nord, tandis que le reste est consommé localement ou stocké pour une réexportation ultérieure.
2025 : année des grandes perquisitions et révélations choc
Depuis le début de l’année, les raids sécuritaires se sont intensifiés, notamment dans la région de la Békaa. L’opération la plus marquante a eu lieu le 8 janvier, avec la saisie de 50 millions de pilules de Captagon dans un seul complexe du village de Yammouneh. D’autres opérations menées en coopération avec les autorités syriennes ont ensuite permis de fermer plusieurs usines et de démanteler des réseaux de contrebande. Pourtant, ces coups portés n’ont pas changé la réalité : le Liban reste l’un des principaux producteurs de cannabis de la région, avec des surfaces de culture atteignant des millions de livres annuellement.
Après la chute du régime syrien fin 2024, les investissements dans les usines de Captagon et de drogue se sont déplacés à l’intérieur du Liban, où de « nouveaux barons de la drogue » ont commencé à construire des réseaux de pouvoir parallèles, mêlant politique et économie, et s’immisçant dans les centres de décision.
Usage de la drogue chez les jeunes : une crise de société
Au-delà des catastrophes sécuritaire et économique, des indicateurs préoccupants émergent concernant la consommation de drogue, notamment chez les jeunes et les adolescents. Une étude menée en 2017 par le ministère de la Santé en coopération avec des organisations internationales a révélé que 4,7 % des élèves âgés de 13 à 15 ans avaient essayé la drogue au moins une fois — un taux relativement élevé dans le contexte libanais. Ces dernières années, le nombre d’arrestations liées aux drogues a également augmenté, reflétant une consommation et une implication croissantes, en particulier avec la crise économique qui pousse les jeunes vers des choix désespérés.
Entre effondrement financier, chômage et dépression collective, le marché de la drogue apparaît de plus en plus comme la seule échappatoire pour une jeunesse à qui l’on propose de « fuir » la réalité à bas prix, mais à haut risque.
Une crise structurelle qui menace l’avenir du Liban
Malgré les efforts sécuritaires et la coopération régionale, le Liban reste dépourvu d’une politique globale de lutte contre la drogue prenant en compte les défis économiques, sociaux et psychologiques. Le problème n’est pas uniquement sécuritaire ; il est structurel, lié à l’absence de l’État et à la déliquescence de ses institutions — des facteurs qui risquent d’ancrer durablement le Liban comme un maillon central des réseaux internationaux de trafic, et d’aggraver son isolement régional et international.
Cette crise a déjà contribué à détériorer les relations du Liban avec plusieurs pays arabes, certains ayant rompu ou suspendu leurs relations à cause de l’implication du Liban dans le transit de drogues via son territoire ou ses ports, ce qui accentue encore son isolement politique et économique.
Des slogans à l’action
À l’issue de la Journée internationale de lutte contre la drogue, la sensibilisation ou les slogans ne suffisent plus. Il faut désormais une stratégie globale, qui commence par la reprise en main des zones hors-la-loi, se poursuive avec des programmes de soutien psychologique et social pour les jeunes, et s’achève par la réintégration du Liban dans son environnement arabe et international, en tant qu’État capable de sécuriser ses frontières et de lutter contre le crime organisé.
Le 26 juin ne doit pas rester une simple date médiatique, mais devenir un tournant pour freiner l’effondrement d’une société qui risque d’être totalement capturée par les mafias de la mort.