Les carnavals de « la victoire historique » dans la guerre israélo-iranienne — menée sous l’égide des États-Unis — représentent sans doute la seule véritable « unité des fronts » qui dépasse les frontières des ennemis et de leurs relais, offrant un spectacle à la fois tragique et burlesque.
Les deux camps en guerre proclament sans hésitation leur victoire certaine dans cette guerre des distances : Israël, en annonçant la destruction des sites nucléaires avec l’appui américain et l’affaiblissement des capacités balistiques iraniennes ; et l’Iran, en se glorifiant des blessures infligées à l’État hébreu par ses armes de destruction massive, ses drones, et la résilience de son régime et de son peuple.
Mais ces célébrations de la « victoire », qui se sont étendues de Téhéran aux faubourgs sud de Beyrouth et à Baalbek — avec des slogans rappelant ceux qui ont suivi les précédents cessez-le-feu au Liban — sont appelées à s’éteindre à mesure que débute le vrai bilan silencieux des résultats de cette guerre : ses traductions sur le terrain, ses coûts économiques et ses prix politiques. Rien ne garantit que le scénario catastrophique libanais ne se reproduira pas en Iran, une fois confronté à la dure réalité des faits.
En laissant le bilan des pertes et des gains israéliens aux évaluations des semaines à venir — des bilans façonnés par les États-Unis, l’Europe, et le débat interne en Israël — essayons de lire la situation de l’Iran après cette guerre (qu’elle soit vraiment terminée ou simplement suspendue, qui peut le dire ?). Voici ce qui en ressort :
1. Il ne fait aucun doute que le régime iranien avait le plus besoin de mettre fin au conflit, après la perte de hauts commandants, de scientifiques, de sites stratégiques, la violation de son espace aérien par l’aviation israélienne et l’infiltration de son territoire par les réseaux du Mossad — sans parler des frappes américaines précises sur ses installations nucléaires. Sa prétention que Washington et Tel-Aviv auraient « supplié » un cessez-le-feu a suscité de larges sourires chez ses ennemis et chez les observateurs, malgré les lourds dégâts infligés à Israël par ses missiles et ses drones.
2. Un nouvel Iran a commencé à émerger pendant et après la guerre — non pas forcément par un changement de régime (ce qui n’a jamais été l’objectif principal des États-Unis ou d’Israël) — mais par un comportement et un discours différents de la tradition historique de la « République islamique » sous Khomeiny et Khamenei. Les vieux slogans appelant à « rayer Israël de la carte » et à combattre le « Grand Satan » américain se sont tus.
3. Une nouvelle forme de coopération avec l’Occident, en particulier les États-Unis, se dessine désormais, le plus grand obstacle — le programme nucléaire iranien — ayant été levé, qu’il ait été détruit, partiellement désactivé ou gelé pour des années. Washington est désormais cet ennemi intime ou cet ami redouté dont l’Iran ne peut se passer, détenant les clés de la levée des sanctions et de l’oxygène financier et économique dont Téhéran a vitalement besoin.
4. Il apparaît clairement que l’Iran n’a désormais d’autre choix que de suivre la voie d’ouverture empruntée par ses voisins du Golfe — en particulier l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar. Il lui faudra imiter ces États dans leur engagement mondial, leur quête de prospérité, de stabilité et de paix, sous peine de s’enfermer à nouveau dans l’isolement, les sanctions et le risque de guerre.
5. Contrairement à ce que tente de faire croire le régime sur l’unité de son peuple, des signes de mécontentement, de révolte et de refus apparaissent déjà. Le régime devra faire face aux protestations et à l’opposition croissante lorsque l’ampleur réelle des pertes se révélera. Il tentera de les contenir ou de les réprimer, mais sa nécessité de composer avec Washington et les autres grandes puissances le forcera à plus de souplesse pour éviter son propre effondrement. Un changement intérieur deviendra d’autant plus envisageable.
6. Il n’y aura pas de séparation possible entre le nucléaire, les missiles balistiques et les relais armés de l’Iran s’il veut rejoindre l’ordre civilisé occidental et arabe. Le nucléaire est désormais scellé, les missiles restants soumis à une surveillance stricte comme dans d’autres puissances intermédiaires telles que le Pakistan ou la Turquie. Quant aux relais de Téhéran au Liban, en Irak et au Yémen, ils sont en voie de règlement ou de démantèlement, condition sine qua non de l’intégration de l’Iran dans le nouvel ordre. Le traitement du dossier des armes du « Hezbollah » dans les semaines à venir en donnera un modèle pour les autres relais.
7. L’Iran pourrait bien tenter, sous couvert de cessez-le-feu, de ranimer cette triade, tant il lui est difficile de renier son idéologie et son dogme du « droit divin » ou de renoncer à sa foi dans le retour du « Mahdi ». Mais une telle tentative risquerait de relancer le conflit — cette fois avec des capacités affaiblies et des alliés plus fragiles.
L’Iran n’a-t-il pas médité, à la loupe, la douloureuse leçon des sept mois d’épreuve de son relais libanais ?
Douze jours de guerre auront suffi pour que l’après soit bien différent de l’avant, traçant les premiers pas sinueux d’une route vers un nouvel Iran.