« La guerre israélo-iranienne en cours sert, d’une certaine manière, les intérêts du Liban. Il revient à l’État libanais de faire preuve de discernement et de prendre les bonnes décisions pour en tirer profit. »
Cette déclaration a été faite par une personnalité libanaise de premier plan lors d’une réunion à huis clos consacrée à une séance de réflexion sur les derniers développements, leur impact potentiel — positif ou négatif — sur le parcours du Liban, et les fondements des solutions envisageables.
Il s’agit certes d’un constat général, mais teinté d’un optimisme prudent, conditionné par la capacité des dirigeants à faire preuve de clairvoyance et à répondre aux attentes des Libanais, en quête de stabilité politique, sécuritaire, sociale et économique. Cela passe notamment par la mise en œuvre de trois engagements fondamentaux : le monopole de l’État sur les armes, l’adoption d’une neutralité positive face aux conflits régionaux, et le lancement de réformes multidimensionnelles.
Le problème majeur, cependant, réside dans l’attitude actuelle des responsables politiques libanais qui se comportent davantage comme de simples observateurs — suivant les événements au jour le jour, les analysant à l’instar des journalistes et commentateurs — semblant suspendre toute décision à l’évolution des rapports de force régionaux et internationaux, et au sort incertain du régime iranien, désormais sous les projecteurs.
Cette posture attentiste a conduit les trois principales institutions de l’État — la Présidence, le Parlement, et la Primature — à geler quatre dossiers essentiels : les armes dans les camps palestiniens, l’arsenal du Hezbollah, la crise des réfugiés syriens et les nominations judiciaires urgentes. Plutôt que de s’attaquer à ces priorités nationales, le gouvernement s’est contenté de négocier ce qui relève du partage des postes, à quelques exceptions près, essentiellement dans le corps diplomatique.
Les craintes grandissent quant à la possibilité que certains acteurs habiles tirent profit de cette période de transition trouble pour imposer des décisions et des nominations — notamment dans le secteur judiciaire et à la Banque centrale — qu’ils n’avaient pu faire passer en pleine lumière.
Mais dans ce contexte de paralysie politique, une question s’impose : comment le Liban pourrait-il réellement tirer avantage du chaos régional actuel ?
Il ne fait aucun doute que le Liban serait fortement soulagé si l’axe dit de la « résistance » venait à s’effondrer. Ce scénario semble désormais plausible, d’autant que c’est cet axe lui-même, et non ses ennemis, qui appelle aujourd’hui à un cessez-le-feu. Les concepts tels que « l’alliance des minorités », le « croissant chiite » ou « l’unité des fronts » sont devenus des slogans vides de sens. Ces récits ont longtemps pesé sur le Liban, l’enfermant dans une logique de guerre et faisant prévaloir la force sur le dialogue.
Ce que le Liban attend aujourd’hui plus que jamais, c’est la reconnaissance — volontaire ou imposée — de sa neutralité. À l’heure actuelle, le Hezbollah semble incapable de se lancer dans une nouvelle « guerre de soutien » à l’Iran dans sa tourmente. Non pas par retenue ou souci du Liban, mais en raison d’une combinaison de facteurs : un affaiblissement militaire, une opposition interne croissante à toute escalade, et des pressions — ou « conseils » — arabes et internationaux.
Cependant, les bénéfices potentiels de l’issue de cette guerre ne sauraient justifier l’attentisme du gouvernement, ni sa stratégie d’attente passive en espérant des dividendes gratuits. Les dirigeants libanais doivent agir — saisir le moment, s’adapter aux mutations sur le terrain, et surtout commencer à appliquer les décisions nationales en suspens. Au cœur de ces décisions figure le double dossier des armes — palestiniennes et celles du Hezbollah. Ce chantier ne peut plus être repoussé. L’État doit appliquer le principe : « Le meilleur bienfait est celui qui est immédiat ». Car une fois le cortège passé, il sera difficile de le rattraper.
Cela ne signifie pas que l’État doit lancer une guerre préventive contre les groupes armés. Mais il doit établir un calendrier clair pour la remise des armes, sans laisser cette question à la merci des développements régionaux. Il ne doit pas non plus céder aux pressions qui l’incitent à renier ses propres échéances, notamment celle du mois de juin concernant les armes palestiniennes — déjà dépassée sans aucune mesure concrète ni justification convaincante. Quant aux armes du Hezbollah, le dialogue prévu avant la fin de l’année est aujourd’hui en veilleuse, anesthésié par de vagues promesses et des réconciliations de façade.
Au vu de la déclaration du président Joseph Aoun et du Premier ministre Nawaf Salam lors du dernier Conseil des ministres — selon laquelle « le Liban n’a rien à voir avec le conflit entre Israël et l’Iran » —, il n’y a aucune justification au gel de ces dossiers vitaux ni à l’inertie actuelle. La dissociation du Liban de cette guerre ne doit pas servir de prétexte pour reporter le désarmement ou l’associer à des agendas dont il affirme ne pas faire partie.
Nul ne peut récolter sans avoir semé. On ne peut se nourrir de la moisson des autres. Certes, les événements actuels peuvent augurer de jours meilleurs pour le Liban, mais le monde entier semble lui répondre par cette vérité morale : « Lève-toi, et je me lèverai avec toi ».
Si la prédiction de cette personnalité libanaise devait se réaliser — à savoir que cette guerre finira par bénéficier au Liban —, alors les dirigeants doivent cesser d’ignorer leurs promesses de sauvetage. Ils doivent les tenir, les appliquer, et ne plus se réfugier derrière la sagesse illusoire de « l’attente sur la berge ».