Ce qui se déroule actuellement entre l’Iran et Israël est une véritable guerre à part entière — une guerre existentielle qui se prépare depuis des années. Depuis la Révolution islamique de 1979 qui a renversé le Shah Mohammad Reza Pahlavi, la République islamique a clairement affiché son hostilité envers Israël. Le geste hautement symbolique fut l’arrachage du drapeau israélien à l’ambassade d’Israël à Téhéran, aussitôt remplacé par le drapeau palestinien, faisant de cette ambassade la première représentation officielle de l’État de Palestine depuis la création d’Israël en 1948.

La première frappe israélienne dans cette nouvelle confrontation n’a pas surpris la direction iranienne. Depuis plusieurs semaines, la rhétorique israélo-américaine montait en intensité. L’assaut initial d’Israël fut rapide et stratégique, reprenant des tactiques déjà utilisées au Liban : assassinats ciblés de hauts responsables militaires et sécuritaires iraniens, avec l’espoir de désorganiser la chaîne de commandement avant une campagne militaire d’envergure.

Mais l’Iran a rapidement encaissé le coup. En l’espace de quelques heures, elle est passée de la défense à l’offensive, lançant une salve de missiles sans précédent. L’ampleur, la rapidité et les dégâts, notamment à Tel Aviv, ont marqué une rupture claire avec les précédents échanges de frappes. Cette fois, la réponse de Téhéran ne se voulait pas une simple riposte, mais le début d’une guerre prolongée.

Plus ce conflit s’éternise, plus il pourrait basculer en faveur de l’Iran. D’un point de vue géographique, l’Iran est 76 fois plus vaste qu’Israël. De son côté, Israël concentre une grande partie de sa population et de ses infrastructures, en particulier dans la région du Gush Dan — qui comprend Tel Aviv — peuplée de plus de 4 millions d’habitants. L’Iran semble mener une guerre d’usure, lançant vague après vague d’attaques, selon un plan opérationnel longuement préparé. Chaque recoin du territoire israélien semble désormais à portée de ses frappes.

Pour les analystes iraniens, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a commis une erreur stratégique en lançant la première attaque. Ce faisant, il aurait offert à l’Iran une occasion de solder ses comptes avec Israël après des années de confrontations indirectes au Liban, à Gaza, au Yémen, et les frappes contre ses alliés régionaux depuis l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » du 7 octobre.

L’échange de frappes a aussi mis à mal la thèse d’une guerre que seule Israël contrôlerait. Les affirmations passées de Netanyahou — selon lesquelles Israël pouvait décapiter la direction iranienne après avoir affaibli ses alliés — sont aujourd’hui sérieusement remises en question. Les responsables iraniens estiment que les États-Unis, en particulier sous la présidence de Donald Trump, sont complices de cette guerre. Ils voient dans le soutien explicite de Trump une manœuvre visant à utiliser Netanyahou comme un pion — ou le « voyou du quartier », selon certains — dans une tentative risquée de forcer l’Iran à plier dans les négociations nucléaires.

Du point de vue iranien, Trump gagne dans les deux cas : en cas de succès israélien, Washington renforce son emprise sur Téhéran ; en cas d’échec, les États-Unis se dédouanent, laissant Netanyahou porter seul la responsabilité des « sales besognes ». Ensuite, les Américains pourraient proposer à l’Iran de nouvelles négociations — sur des bases bien plus strictes que celles du plan préparé par l’envoyé spécial Steve Weitzkopf, tombé à l’eau avec l’annulation de la sixième séance de pourparlers.

Pour Téhéran, cette proposition de Weitzkopf n’a plus aucune valeur. Selon les Iraniens, les nouvelles conditions américaines sont délibérément extrêmes et ont pour but de forcer l’Iran à négocier sous le feu — et à accepter, en échange d’un cessez-le-feu, des conditions humiliantes.

Le message adressé par Netanyahou au peuple iranien dès le début de la guerre ne laissait aucun doute : l’objectif d’Israël est un changement de régime à Téhéran. Si les premières frappes israéliennes avaient été couronnées de succès, elles auraient visé la direction politique iranienne, et non seulement ses installations nucléaires. Mais Tel Aviv a sous-estimé la cohésion interne de l’Iran. L’histoire montre que le peuple iranien se soude immédiatement face aux menaces extérieures — et la guerre actuelle le confirme.

Par ailleurs, l’Iran bénéficie d’un soutien régional et international croissant. De la Chine au Pakistan, en passant par la Russie, plusieurs pays arabes et la Turquie, nombreux sont ceux qui considèrent l’agression israélienne comme une dérive expansionniste. Ils craignent qu’un effondrement du régime iranien n’ouvre la voie à une domination israélienne incontrôlée dans la région — et mette définitivement fin à tout espoir de création d’un État palestinien.

Avec plusieurs de ses sites nucléaires déjà visés, l’Iran estime désormais inutile de poursuivre les négociations avec les États-Unis. La confiance est rompue. Les discussions ont perdu leur sens. Téhéran a déjà entamé une révision de sa coopération avec l’Occident sur le dossier nucléaire, voire un désengagement progressif.

Dans ce contexte, la paix paraît lointaine. Israël cherche toujours à neutraliser les défenses aériennes iraniennes, afin d’ouvrir le ciel iranien à ses avions de chasse et missiles pour frapper les infrastructures stratégiques — notamment nucléaires et balistiques — qu’il considère comme des menaces existentielles.

De son côté, l’Iran n’a aucun intérêt à interrompre la guerre. Il cherche vengeance — un règlement de comptes total avec Israël. Pour Téhéran, au minimum, cela signifie la chute du gouvernement Netanyahou.

Pendant ce temps, le Liban assiste à cette guerre en spectateur contraint. Des missiles et drones iraniens traversent son espace aérien en direction d’Israël. Pourtant, le « Hezbollah », principal allié régional de l’Iran et pilier de son « axe de résistance », reste pour l’instant à l’écart. Les dynamiques internes libanaises et la pression occidentale pour son désarmement — au profit de l’État libanais — expliquent cette retenue.

Mais si le régime iranien venait à être menacé dans son existence même, le « Hezbollah » pourrait ne plus rester bien longtemps en retrait .