Depuis l’adoption de la loi électorale fondée sur la représentation proportionnelle, les listes fermées et le vote préférentiel unique — connue sous le nom de « loi Georges Adwan » — lors des élections de 2018, les grandes « machines électorales » libanaises ont été freinées. Toutefois, certains députés ont encore réussi à rejoindre le Parlement en pratiquant une sorte de « stop politique ». La représentativité s’est améliorée, permettant notamment aux communautés chrétiennes d’élire leurs députés grâce à leurs propres voix, atteignant environ 54 sièges sur 64.
Ce changement a offert une plus grande transparence quant au poids réel des partis politiques en fonction des votes obtenus, exposant l’influence surévaluée de certains acteurs politiques ayant profité des anciens systèmes électoraux. La proportionnelle a également permis des percées dans des circonscriptions historiquement fermées à toute diversité politique, introduisant ainsi une pluralité de voix au Parlement, brisant les clivages binaires traditionnels.
Cependant, cette avancée significative en matière de représentativité n’a pas été accompagnée d’un saut qualitatif équivalent dans le discours électoral. Le problème ne réside pas dans les programmes — souvent impressionnants, mais largement copiés les uns sur les autres — qui promettent beaucoup mais déçoivent à l’épreuve des faits. Le vrai souci vient des discours de campagne, rarement ancrés dans les crises existentielles que traverse le Liban, menaçant son identité, son rôle et sa structure. Au lieu de cela, le débat politique se compose de propositions utopiques et populistes, de discours incendiaires, d’instrumentalisation de l’histoire, de récits de guerre tronqués, et d’incitations confessionnelles ou tribales.
Maintenant que les urnes municipales se sont refermées, la course vers les élections législatives de mai 2026 est officiellement lancée. Plusieurs dynamiques majeures ont changé depuis le scrutin national de 2022 :
- L’ère du général Michel Aoun, qui mobilisait tout l’appareil étatique au service de son courant politique, est révolue.
- Une nouvelle ère commence avec le général Joseph Aoun, dont l’orientation électorale reste floue. Sera-t-il neutre, apportera-t-il un soutien discret, ou s’engagera-t-il directement ? La troisième option semble peu probable.
- Le mouvement de protestation du 17 octobre est, de fait, terminé. Le slogan autrefois puissant « Kelon yaané kelon » (tous c’est tous) a perdu de sa force, et les soi-disant « députés du changement » ont gaspillé la confiance que leur avaient accordée les Libanais. Incapables de proposer une alternative crédible, ils se sont enlisés dans des querelles internes — un résultat prévisible, compte tenu de leurs divergences profondes sur les questions de souveraineté, de politique et d’économie. L’attention se porte désormais sur le sort de leur électorat en 2026.
- Le régime Assad, autrefois en mesure d’influencer les choix électoraux du Hezbollah, est devenu hors jeu.
- Le Hezbollah se prépare à affronter l’échéance électorale sans son secrétaire général historique, Hassan Nasrallah. Celui qui gérait auparavant le dossier électoral, le cheikh Naim Qassem, est aujourd’hui à la tête du parti. Le Hezbollah est dans une position délicate, fragilisé par l’évolution du contexte régional et militaire. Parviendra-t-il à susciter la sympathie des électeurs en présentant la guerre actuelle comme une attaque contre l’ensemble de la communauté chiite, espérant ainsi une forte mobilisation en sa faveur ? Ou bien la proportionnelle, couplée à l’effritement de son aura sécuritaire, permettra-t-elle une plus grande expression des voix chiites dissidentes ?
Plus que jamais, ces élections se tiennent à un moment charnière et existentiel pour le Liban, au cœur du séisme politique qui secoue la région. L’heure du choix approche, et il n’y a plus de place pour l’ambiguïté. Le Liban doit trancher : choisira-t-il le modèle d’un véritable État ou continuera-t-il à payer le prix d’un État parallèle armé ? S’intégrera-t-il au nouvel ordre régional ou sombrera-t-il dans l’isolement et la marginalisation ? Ce scrutin est un référendum sur le Liban que nous voulons, et sur l’avenir du système en place.
Ironiquement, alors que ces questions existentielles se posent avec acuité, les premiers signes de banalisation du débat électoral apparaissent déjà. Certains acteurs politiques, comme à chaque échéance, ravivent les blessures de la guerre civile à des fins électoralistes. Le député Tony Frangieh, par exemple, a torpillé la réconciliation de Bkerké avec les Forces libanaises en ressuscitant une rhétorique de guerre, illustrée par l’adage : « Quand on est ruiné, on retourne aux vieux livres de son grand-père. » Son discours nous ramène à 1977, à débattre de qui a rompu le cessez-le-feu ou envahi tel quartier.
Mais on ne construit pas l’avenir sur les rancunes du passé. Ce genre de discours incendiaire peut galvaniser une base fidèle qui lui aurait de toute façon accordé son vote, mais il éloigne l’électorat flottant et n’élargit en rien l’audience du courant des Marada. Sacrifier les réconciliations nationales sur l’autel des ambitions électorales ôte toute crédibilité à leurs auteurs et les transforme en marchands de causes perdues.
Ne vaudrait-il pas mieux aborder ces élections avec une mentalité nouvelle — renoncer à l’incitation à la haine, éviter les programmes recyclés ? Qu’elles deviennent un véritable référendum national : Quel Liban voulons-nous ? Et sous quel système ? Un État ou un champ de bataille ? Un pays aux armes exclusives ou un monopole étatique de la force ? Un Liban fondé sur la diversité et l’égalité ou soumis à une logique confessionnelle ? Un Liban en harmonie avec son environnement arabe et intégré dans l’ordre mondial, ou un Liban isolé et marginalisé ?
Voilà les vraies questions. Et il est temps d’y répondre.