Depuis son occupation par Israël en 1967, la Cisjordanie est au cœur du conflit israélo-palestinien et constitue le principal théâtre de l’expansion coloniale israélienne. L’occupation des territoires de 1948 étant devenue une réalité admise — notamment après l’acceptation par les pays arabes des résolutions internationales et du principe de la paix contre la terre —, l’attention s’est alors portée sur la Cisjordanie.
Les Accords d’Oslo entre Palestiniens et Israéliens n’ont guère amélioré la situation en Cisjordanie. Elle s’est même détériorée, en particulier après la montée en puissance de la droite israélienne et le déclin progressif de la gauche, amorcé avec l’assassinat de son chef Yitzhak Rabin en 1995.
Au fil du temps, les gouvernements israéliens successifs ont vidé Oslo de sa substance. L’accord avait déjà reporté les dossiers essentiels, comme celui des colonies, à des négociations ultérieures sur le statut final — un point critiqué dès le départ. Parallèlement, l’Autorité palestinienne, signataire de l’accord, a vu son rôle s’effriter considérablement face à la montée en puissance du Hamas, farouche opposant à Oslo, qui a fini par supplanter le Fatah.
Dans l’après-11 septembre et face à la paralysie politique palestinienne — que ce soit celle de l’Autorité à Ramallah ou celle du Hamas à Gaza — les luttes internes, la corruption, la répression, et le soutien inconditionnel des États-Unis à Israël ont nourri une série de petites guerres qui ont maintenu vivante la cause palestinienne. Puis est venu le Déluge d’al-Aqsa, moment charnière résultant d’un lourd mauvais calcul.
Cette opération a frappé le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël, offrant une occasion inespérée de concrétiser un vieux rêve israélien : l’annexion de la Cisjordanie. Sentant qu’aucun obstacle ne se dressait, Israël a saisi sa chance.
Benjamin Netanyahou, parlant franchement après le Déluge, l’a comparé au 11-Septembre d’Israël et a ensuite déclaré vouloir remodeler le Moyen-Orient. Il œuvre activement en ce sens, lançant un plan d’annexion ouvert de la Cisjordanie, tandis que le monde reste rivé sur Gaza.
22 colonies pour démembrer la Cisjordanie
Il y a quelques jours à peine, le gouvernement israélien a approuvé la création de 22 nouvelles colonies en Cisjordanie. Parmi elles, quatre seront situées le long de la frontière jordanienne, trois dans les collines d’Hébron, deux renforceront l’axe routier menant à Jérusalem, et d’autres seront implantées sur le mont Ebal à Naplouse — des zones désormais encerclées à l’est, au nord et à l’ouest. Israël prévoit même de réinvestir deux colonies dont elle s’était précédemment retirée. La moitié des nouvelles colonies seront situées dans des zones sans aucune présence juive antérieure.
Le plan, doté de 11 millions de dollars, est minutieusement élaboré. Il légalise de nombreux avant-postes existants et couvre l’ensemble de la Cisjordanie — de la vallée du Jourdain à l’est jusqu’aux confins nord et sud. Il vise à relier les blocs coloniaux par un vaste réseau routier, à établir cinq zones industrielles et à construire des dizaines de milliers de logements.
Ce projet implique aussi une transformation démographique préoccupante. La population de colons, actuellement estimée à 750 000 personnes, devrait dépasser le million d’ici 2050 — soit une multiplication par huit — grâce à des incitations logistiques, financières et résidentielles. Une telle expansion fragmenterait non seulement les villes et les gouvernorats entre eux, mais elle désarticulerait aussi le nord, le centre et le sud de la Cisjordanie. Le projet est à la fois ambitieux et expansionniste.
Les Israéliens eux-mêmes le décrivent comme le plus important projet colonial depuis l’occupation de 1967 — et le plus historique depuis les Accords d’Oslo. Il marque un tournant stratégique majeur. Il intervient au moment même où l’élan international en faveur de la reconnaissance d’un État palestinien prend de l’ampleur. Le gouvernement Netanyahou, dans une course contre la montre, utilise cette offensive coloniale pour morceler irréversiblement la Cisjordanie, rendant impossible toute création d’État palestinien ou même d’entité viable.
Ainsi, Israël s’apprête à anéantir l’idée même de souveraineté palestinienne. Ce qui resterait serait une coquille vide — sans frontières, ni passages, ni capacités, ni infrastructures élémentaires. Les Palestiniens seraient réduits à lutter pour leur survie quotidienne, leur subsistance et leur sécurité, loin de toute ambition politique.
Ce plan annonce de probables affrontements majeurs en Cisjordanie, berceau historique de la colonisation et des déplacements forcés vers la Jordanie. Ces confrontations pourraient d’abord éclater avec des milices de colons, l’armée israélienne se tenant d’abord à l’écart, avant de lancer ses incursions habituelles, confortée par le silence de la communauté internationale.
Le gouvernement israélien réaliserait ainsi une double victoire : consolider l’idéologie d’un État juif par l’annexion, tout en poussant les Palestiniens à accepter l’exil comme une fatalité.
Israël contrôle déjà de facto plus de 43 % de la Cisjordanie. Avec la poursuite de la judaïsation, elle mène un démantèlement méthodique des trois piliers fondamentaux d’un futur État palestinien : le territoire, la population et le système politique.
Cela signifie que le gouvernement israélien actuel n’a aucune intention de conclure un quelconque accord avec les Palestiniens. Toute solution de paix réaliste devra attendre l’émergence d’un partenaire israélien issu d’un électorat réellement disposé à faire la paix avec les Palestiniens — et avec le monde arabe.