Les frappes israéliennes sur Gaza, le sud du Liban et jusqu’au cœur de la Syrie ne sont pas de simples réactions à des menaces sécuritaires immédiates. Elles sont devenues des outils géopolitiques à part entière dans un théâtre mondial où les tensions entre grandes puissances ne cessent de s’aggraver.

Ce qui semble être des frappes limitées dans le temps et dans l’espace dissimule en réalité un rôle complexe que joue Israël au sein d’une architecture stratégique plus vaste, en cours de réingénierie sous les prétextes de la sécurité, de la dissuasion ou de la lutte contre le terrorisme.

Des prétextes dans un climat de rivalité mondiale

Sous couvert de « droit à la légitime défense », Israël mène des opérations sécuritaires et de renseignement qui dépassent largement les frontières de sa sécurité nationale. Ces actions s’inscrivent dans un cadre régional dirigé contre ses rivaux et ceux de ses alliés internationaux, visant à faire pression sur l’Iran pour qu’il abandonne son programme nucléaire.

Israël se situe au croisement des intérêts américains, russes et chinois, jouant le rôle de fer de lance dans la protection des intérêts stratégiques des États-Unis au Moyen-Orient. Grâce à ses frappes aériennes, Tel-Aviv envoie des signaux dissuasifs à l’Iran, à un moment où Washington manifeste une réticence croissante à s’engager militairement de manière directe. Ce mode opératoire permet aux États-Unis d’éviter les coûts politiques et financiers de l’implication directe tout en maintenant la pression.

Cette stratégie s’inscrit dans une approche américaine calculée de gestion des conflits, qui vise à maintenir les tensions dans une zone grise, entre « ni guerre » et « ni paix ». Cette ambiguïté prolongée épuise stratégiquement les adversaires, les empêchant d’établir un équilibre efficace, tout en maintenant les alliés dans l’orbite d’influence américaine grâce à leur dépendance sécuritaire et politique.

La Russie adopte, elle aussi, une posture ambivalente vis-à-vis des frappes israéliennes : ni escalade, ni condamnation, malgré sa présence militaire en Syrie. Cela suggère l’existence de « compréhensions tactiques » non déclarées entre Moscou et Tel-Aviv, sous la médiation tacite des États-Unis, visant à éviter tout affrontement susceptible de compromettre l’intervention russe et de fragiliser son équilibre régional.

Quant à la Chine, elle reste en retrait sur le plan politique et militaire, préférant considérer les fractures géopolitiques comme des opportunités économiques. Tandis que les deux autres puissances gèrent les tensions, Pékin fait avancer discrètement ses projets et renforce son influence économique, notamment dans des zones désormais échappant à tout contrôle clair.

Mise en récit médiatique et expérimentation géopolitique

Les médias occidentaux servent souvent de structures parallèles, réinterprétant les frappes israéliennes à travers un discours préconçu qui les vide de leur contenu politique et humanitaire. Les expressions comme « frappes de précision » ou « frappes préventives » dominent la couverture médiatique, tandis que les souffrances civiles sont effacées et les faits déformés.

Les opérations offensives israéliennes ne visent pas seulement à dissuader. Elles servent également de laboratoires pour tester les réactions régionales et internationales. Chaque frappe devient une « prise de pouls de Moscou », un « test de la patience de Téhéran » et une mise en lumière de la fragilité du monde arabe.

Israël analyse ces réactions silencieuses et les transforme en données exploitables, qui renforcent sa conviction que sa liberté d’action sur le terrain est assurée, durable, et qu’aucun réel frein diplomatique ne vient limiter ses mouvements.

Le rôle de l’Iran dans la recomposition régionale

Les frappes israéliennes doivent être interprétées à la lumière de la rivalité régionale et mondiale avec l’Iran, qui joue un double rôle : celui de la « victime » et celui de la puissance résistante, contrepoids au nouvel ordre mondial en gestation. L’Iran tente de maintenir sa présence dans un espace géographique encore tenu par les restes d’un Axe de la résistance désormais fragilisé, surtout après la sortie de la Syrie de l’équation.

Face à la supériorité aérienne d’Israël, l’Iran opte pour une stratégie de « dissuasion asymétrique ». Conscient de ses limites militaires, il ne cherche pas la victoire mais l’usure constante d’Israël. Il considère également que son soutien à Gaza et à la résistance palestinienne lui confère une légitimité symbolique pour son projet régional, tout en mettant dans l’embarras ses rivaux arabes ayant normalisé, ou en voie de normalisation, leurs relations avec Israël.

Dans cette optique, Téhéran s’intègre davantage aux initiatives russes et chinoises visant à rééquilibrer l’hégémonie américaine, cherchant à imposer un « nouveau modèle » dans un ordre international multipolaire.

À l’inverse, l’implication de l’Iran dans de nouvelles négociations avec les États-Unis, qu’il s’agisse du dossier nucléaire ou des sanctions économiques, constitue une menace implicite pour l’Axe de la résistance. Tout compromis possible pourrait impliquer des concessions qui affaibliraient les engagements de Téhéran envers ses alliés régionaux. Conclure un accord global avec Washington pourrait exiger de l’Iran qu’il retire son soutien à ce qu’il reste de l’Axe de la résistance.

*Ancien ministre