Les cinq mots « paix du Liban avec ses voisins », prononcés par le président américain Donald Trump à Riyad, résument peut-être à eux seuls la trajectoire envisagée pour l’avenir du Liban dans le cadre d’une stratégie de « stabilité et de prospérité » — un double objectif autour duquel se sont accordées les volontés arabes et internationales, menées par le partenariat historique entre les États-Unis et l’Arabie saoudite.
Dans ce grand tournant vers la paix comme solution aux crises et conflits du Moyen-Orient, l’adage ancien et souvent répété selon lequel « le Liban sera le dernier à normaliser et à signer » perd son sens et sa pertinence. La région dans son ensemble, y compris l’Iran, semble s’orienter avec assurance vers une nouvelle ère — celle du dépassement des guerres et du bain de sang, tant internes qu’entre États.
Les premiers signes de ce virage majeur ont déjà commencé à apparaître, à travers deux indicateurs au moins : la mise en échec de la menace houtie en mer Rouge et dans le détroit de Bab el-Mandeb — fruit à la fois de décisions iraniennes et de pressions militaires américaines — et la divergence croissante entre l’agenda de Trump et les plans militaires multisectoriels et de plus en plus complexes du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou.
Cette divergence avait été anticipée, tant avant qu’après le retour de Trump à la Maison-Blanche. L’administration américaine ne peut accueillir favorablement les ambitions bellicistes de Netanyahou, qui mettent en péril la stratégie affichée par Trump : mettre fin aux guerres régionales et internationales tout en élargissant les Accords d’Abraham.
Un détail révélateur : Washington a récemment levé des sanctions contre la Syrie à la demande du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, en parallèle d’une rencontre entre Trump et le président syrien Ahmad al-Charra et d’un sommet américano-golfe. Cela reflète un effort clair pour contenir la pression israélienne sur la nouvelle direction syrienne.
Ce qui est manifeste, c’est que les futurs Accords d’Abraham — qui incluront à terme l’Arabie saoudite (selon son propre calendrier) et la Syrie — ne se forgeront pas uniquement selon les conditions de Netanyahou ou d’un éventuel successeur. Les conditions arabes pèseront, notamment la création d’un État palestinien après une restructuration de l’Autorité palestinienne et la fin de la branche militaire du Hamas. Cette issue était prévisible après le déclenchement de l’opération palestinienne « Déluge d’Al-Aqsa » et de son pendant libanais, « Soutien », que nous avions depuis longtemps considérés comme des portes vers une résolution, une fois les deux parties belligérantes épuisées.
Dans ce contexte, la « paix du Liban avec ses voisins » devient une pièce clé du puzzle plus vaste des accords régionaux. Il est impensable que Damas et Tel-Aviv parviennent à des ententes pratiques et politiques sous parrainage américano-saoudien, tandis que le Liban resterait à l’écart — surtout compte tenu de sa position en tant que troisième sommet du triangle qui relie les deux. La question n’est plus de savoir qui normalise en premier, mais plutôt qui est présent à la table des négociations pour garantir ses droits et définir ses frontières avec ses voisins — de Naqoura aux Fermes de Chebaa, en passant par les pentes du Mont Hermon, la chaîne orientale et la frontière nord.
C’est là que se pose le défi pour le Hezbollah : éviter l’isolement dans ce nouveau contexte. Même l’Iran participe désormais au processus, en entamant des discussions avec Washington et en freinant son allié houthi, après des démarches similaires en Irak. Fait notable, le discours du Hezbollah commence déjà à s’adoucir. Le récent discours du chef adjoint du parti, cheikh Naïm Qassem, n’incluait plus de menaces telles que « nous couperons la main qui tente de désarmer notre résistance ». Il mettait plutôt l’accent sur le « partenariat avec le régime et la construction de l’État ».
Un tel « partenariat avec le régime » implique nécessairement l’adhésion au monopole de l’État sur la détention des armes — excluant ainsi la coexistence de deux forces militaires parallèles. Construire les institutions de l’État signifie démanteler toutes les structures illégales ou parallèles — qu’elles soient militaires, sécuritaires ou financières. Ce résultat devient inévitable sur la voie d’une paix irréversible, surtout après l’échec des alliances de guerre et l’effondrement des modèles d’« Axe de la résistance » et d’« Unité des fronts ».
Il ne fait aucun doute que le Hezbollah — et la communauté chiite qui le soutient — a tout intérêt à la paix avec une nouvelle Syrie, en marche vers un accord avec Israël, soutenue par les dynamiques américaine, du Golfe et même turque, avec l’aval de l’Iran. Le réalisme politique s’impose désormais à toutes les composantes de la société libanaise.
Naturellement, ce processus est semé de conditions et d’obstacles et ne se fera pas du jour au lendemain. Il représente pourtant de façon réaliste le destin et l’avenir de la région. C’est le fruit d’une lecture lucide des faits sur le terrain et d’une adhésion au possible, plutôt qu’un attachement à l’illusion de l’impossible — que les cartes géopolitiques tracées par Sykes-Picot changent ou non.
Il n’est pas surprenant que le pragmatisme iranien commence à l’emporter sur le projet impérial qui pèse sur Téhéran depuis 46 ans. L’Iran ploie lui aussi sous le poids de ses échecs militaires, politiques et économiques. Il cherche désormais à limiter ses pertes, alléger les sanctions et réduire les pressions. Il a intérêt à s’inscrire dans la doctrine de la « stabilité et de la prospérité » — un intérêt qui devra bientôt être partagé par son allié libanais, appelé à se soumettre à l’autorité de l’État, selon ses conditions légitimes, et non par le biais d’un « partenariat armé ».