Alors que l’attention se concentre sur la nécessité urgente d’affirmer la souveraineté de l’État sur son territoire — et donc d’assurer le monopole des armes par l’État libanais, ce qui implique concrètement la fin du rôle militaire et sécuritaire du « Hezbollah » et de toutes les factions libanaises ou palestiniennes, notamment à la lumière du message ferme adressé par l’envoyé américain en Turquie, Tom Barrack — la séance plénière du Parlement libanais du 30 janvier 2025 a révélé que faire respecter l’état de droit au sein des institutions est tout aussi crucial que d’étendre l’autorité de l’État.

Le refus du président du Parlement, Nabih Berri, d’inscrire un projet de loi urgent visant à abolir les six sièges parlementaires réservés aux expatriés — et à leur donner plutôt le droit de voter pour l’ensemble des 128 députés — va bien au-delà d’un simple bras de fer politique. Il porte atteinte à l’intégrité institutionnelle du Parlement et à l’esprit même des « projets de loi urgents », puisque Berri a, de manière unilatérale, retiré le caractère urgent de la proposition, alors que la décision d’urgence revient à l’assemblée plénière.

Cette scène illustre l’approche que Berri a consacrée depuis son accession à la présidence du Parlement en 1992, transformant à plusieurs reprises la place de l’Étoile en une sorte de « majlis » personnel, où ses préférences priment sur les lois et les procédures. Quelques rappels en témoignent :

- Les mystérieux « adopté » qui résonnent dans l’hémicycle sans qu’on sache qui a voté ni comment.

- Son obstruction persistante à l’instauration du vote électronique pour les députés.

- Sa gestion des séances, utilisant habilement son esprit et son humour pour imposer son rythme au détriment du règlement intérieur du Parlement.

- Les projets et propositions de lois qui disparaissent dans les tiroirs du Parlement, sombrant dans un sommeil profond pendant des années.

- La suspension répétée du Parlement pendant des mois à chaque échéance présidentielle, plongeant le pays dans le vide institutionnel.

Les 33 années ininterrompues de Berri à la tête du Parlement reposent non seulement sur son statut parlementaire ou son appartenance au mouvement Amal, mais aussi sur un rapport de forces toujours favorable depuis le torpillage de l’Accord de Taëf — que ce soit à l’époque de la tutelle syrienne, lorsqu’il était l’allié le plus fiable de Damas en temps de paix après avoir été son chef milicien le plus loyal en temps de guerre, ou plus tard sous le « chiisme politique » et le « duo Hezbollah-Amal », avec un Hezbollah le reconnaissant comme le « grand frère ».

En parallèle au projet de loi urgent bloqué par Berri — ce qui a poussé les députés des Forces libanaises, des Kataëb, de l’Alliance du Changement et plusieurs indépendants à quitter la séance — une pétition parlementaire a commencé à circuler, et devrait recueillir plus de 65 signatures. Berri cédera-t-il à la volonté d’une majorité parlementaire, ou persistera-t-il dans ses méthodes ? Fondamentalement, qu’est-ce qui importe le plus : limiter les expatriés à l’élection de six nouveaux députés ou leur permettre de voter pour les 128 parlementaires ?

L’esprit de l’implication de la diaspora libanaise dans les élections parlementaires vise à leur faire sentir qu’ils sont des partenaires dans l’avenir de leurs villages et de leur pays, et non de simples sources d’argent ou des distributeurs automatiques pour le Liban. Concrétiser cette vision nécessite de leur accorder le droit de voter pour les 128 députés, et pas seulement de créer six sièges réservés.

Au-delà des obstacles pratiques et de l’absence de décrets d’application, de nombreuses questions se posent : comment les six sièges — attribués par confession (maronite, orthodoxe, grec-catholique, sunnite, chiite et druze) — seront-ils répartis sur les continents ? Sur quel continent placer, par exemple, le siège druze ? Comptera-t-il uniquement sur les votes des druzes expatriés ou aussi sur ceux d’autres communautés ? Comment ces députés pourront-ils participer aux réunions hebdomadaires des commissions parlementaires ?

De graves dysfonctionnements ont entaché la première expérience du vote à l’étranger lors des législatives de 2018 : certaines urnes n’étaient jamais arrivées à Beyrouth, ou les résultats du dépouillement étaient en contradiction avec les procès-verbaux des bureaux de vote à l’étranger. Cependant, la seconde expérience en 2022 a été plus précise, révélant le poids déterminant du vote de la diaspora, qui a fait basculer les résultats dans certaines circonscriptions et brisé la domination dans d’autres, dynamisant notamment les scores des Forces libanaises et des candidats du changement.

C’est pourquoi les élections de 2026 sont particulièrement attendues : le vote de la diaspora devrait façonner le paysage parlementaire et le rapport de forces sur la place de l’Étoile, surtout après l’affaiblissement du mouvement de protestation du « 17 octobre ». Surtout, ce vote est libéré de la menace des armes locales, de la coercition des « forces de fait », de la corruption et du clientélisme — d’où la réticence à leur accorder le droit de voter pour les 128 députés.

Le « duo » Hezbollah-Amal redoute le vote de la diaspora, arguant que le « Hezbollah » ne peut pas faire campagne dans des pays qui le classent comme organisation terroriste. Mais alors, comment peut-il mener la bataille pour les six sièges ? Ils savent parfaitement que les méthodes d’intimidation utilisées au Liban — comme celles constatées lors des élections de 2022 dans la circonscription de Baalbek-Hermel, avec passage à tabac des délégués adverses, accusations de trahison, tirs lors de meetings et pressions pour bloquer les listes concurrentes — sont impossibles à reproduire à l’étranger.

De son côté, le Courant patriotique libre (CPL), dirigé par le député Gebran Bassil, constate la réduction de sa base parmi les expatriés, les divisions internes récentes et les échecs électoraux passés. Il voit dans le vote de la diaspora une force décisive qui favorise les Forces libanaises à son détriment, et s’efforce donc de limiter son impact en restreignant le vote aux six sièges au lieu des 128.

La volonté du « duo » et du CPL de maintenir l’arrangement des six sièges — malgré l’absence de décrets d’application — se heurte à la détermination des Forces libanaises, de plusieurs blocs parlementaires et de députés du changement de supprimer cette disposition. Berri osera-t-il soumettre la question au vote parlementaire ou, avec ses alliés, continuera-t-il à bloquer le projet de loi urgent et la pétition, ou à semer le chaos pour torpiller l’échéance électorale ?