L’annonce du soutien du gouverneur de la Banque centrale à une mesure obligeant les emprunteurs — ayant déjà remboursé leurs dettes en livres libanaises au taux officiel ou au taux « lollar » — à restituer l’écart avec le taux de change réel est tombée comme un coup de massue. Pourtant, cette mesure controversée n’est rien d’autre qu’un « coup d’épée dans l’eau » : inefficace, irréalisable, juridiquement discutable, humainement injuste et pratiquement trompeuse.

L’anatomie des remboursements à moindre valeur

Les prêts en devises étrangères qui ont été remboursés à une valeur largement inférieure à leur valeur réelle se répartissent en deux catégories principales :

- Les prêts de détail : Ceux-ci ont été remboursés conformément à la circulaire intermédiaire n° 568 (2020) de la Banque du Liban, autorisant les emprunteurs à s’acquitter de leurs dettes au taux officiel de 1 507,5 livres pour un dollar. Cela concernait uniquement les résidents n’ayant pas de compte en devises étrangères dans la banque concernée, dont les prêts immobiliers ne dépassaient pas 800 000 dollars et les autres prêts personnels 100 000 dollars.

- Les prêts commerciaux : Non couverts par la circulaire 568, ces prêts ont été remboursés soit par les dépôts en devises bloqués du client, soit par la vente de biens immobiliers réglée par des chèques en « lollars ».

Dans ces deux cas, les experts juridiques estiment qu’il serait injustifié de faire porter aux emprunteurs la responsabilité des écarts de change. Le premier cas a été explicitement autorisé par la banque centrale, et dans le second, les emprunteurs n’en ont tiré aucun profit.

Profiter de l’effondrement bancaire

Un troisième cas plus problématique émerge : certains emprunteurs influents ont tiré profit de la crise en achetant des chèques bancaires à des prix bradés — ne payant parfois que 20 à 40 % de leur valeur faciale — pour rembourser des prêts à leur valeur nominale. Par exemple, un emprunteur aurait pu acheter un chèque d’un million de dollars pour 100 000 dollars et l’utiliser pour rembourser un prêt équivalent — réalisant ainsi un gain de 900 000 dollars.

« Dans ces cas, une taxe est absolument due », affirme Me Karim Daher, enseignant en droit fiscal et en finances publiques. « Mais il ne s’agit pas d’obliger au remboursement complet de l’écart, car la complexité de la situation rend cette voie inapplicable et illusoire. »

En outre, une telle mesure pourrait inciter les déposants à exiger à leur tour que les banques leur restituent les différences sur les sommes qu’ils ont retirées à des taux largement inférieurs au taux réel — allant de 1 500 à 15 000 livres libanaises selon la circulaire 165, alors que le taux du marché atteint aujourd’hui près de 140 000 livres.

Une réponse législative : taxer ceux qui ont saisi l’occasion

Face à cette situation, un groupe de juristes, dont Me Karim Daher et l’ancien vice-Premier ministre Saadé Chami, a rédigé une proposition de loi permettant au ministère des Finances d’imposer une taxe sur les profits réalisés par ceux qui ont remboursé leurs prêts à un prix inférieur à leur valeur réelle. La proposition a été révisée, approuvée par le ministère et transmise au Parlement l’année dernière.

Conformément à la législation en vigueur, tout bénéfice non soumis à une taxe spécifique est automatiquement imposé au titre de l’impôt sur le revenu – entre 4 % et 25 % pour les particuliers, et 17 % pour les entreprises. Cette taxe reste exigible, même rétroactivement : cinq ans pour les revenus déclarés et jusqu’à sept pour les revenus dissimulés. En tenant compte des lois ayant suspendu les délais légaux, l’État dispose d’un délai allant jusqu’à 2029 pour récupérer les taxes dues.

Une fiscalité ciblée

La taxe proposée présente deux caractéristiques majeures :

- Elle exclut les prêts immobiliers personnels et les prêts de détail inférieurs à 100 000 dollars (ou équivalent en livres) au moment de leur octroi.

- Les recettes fiscales seraient intégralement affectées à la création d’un Fonds de Récupération des Dépôts (DRF).

Selon Me Daher, il est possible d’adopter une loi permettant d’exceptionnellement déroger au principe d’universalité des impôts — c’est-à-dire l’interdiction de réserver une recette fiscale à un usage spécifique — afin de rendre justice aux déposants spoliés.

Une question de justice, pas de vengeance

Taxer ceux qui ont tiré profit de la crise bancaire ne relève pas d’une logique punitive, mais d’un impératif de justice : rendre aux déposants au moins une fraction de leurs fonds. Cette mesure ne se limite pas à une simple réparation : « Elle pourrait servir de locomotive pour faire avancer d’autres lois suspendues », explique Daher, « comme celles taxant les profits issus de la plateforme Sayrafa ou des subventions, dont les recettes seraient également reversées aux déposants. »

L’impact serait considérable. Avec un taux d’imposition moyen de 17 %, l’État pourrait récupérer jusqu’à 7 milliards de dollars pour les déposants — sur un total estimé de 40 milliards de profits imposables : 30 milliards issus de prêts, 7 milliards de subventions et 2,5 milliards via Sayrafa.

Ce mécanisme permettrait d’augmenter les plafonds de retrait mensuels prévus par les circulaires 158 et 166, et d’offrir enfin aux déposants autre chose que de vaines promesses.