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Résumé de l'article
Par Joe Saadeh
Extrait de l'article
Israël n’a jamais bénéficié d’un soutien américain aussi constant que depuis la présidence de Bill Clinton dans les années 1990. George H. W. Bush et son secrétaire d’État James Baker furent les derniers à exercer une réelle pression sur Israël, retardant l’octroi de garanties de prêts de 10 milliards de dollars destinées à financer des colonies pour près d’un million d’immigrants juifs en provenance de l’ex-Union soviétique.
Depuis lors, l’appui américain n’a jamais faibli — pas même après la riposte disproportionnée d’Israël à l’attaque du « Déluge d’Al-Aqsa » le 7 octobre 2023, ni face au silence de Washington sous Donald Trump comme sous Joe Biden concernant les actions d’Israël à Gaza.
Une large part du mérite revient à l’influence du lobby pro-israélien aux États-Unis, en particulier l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC). C’est la force de lobbying la plus puissante de l’histoire politique américaine, exerçant une influence sans égale sur la politique étrangère des États-Unis au Moyen-Orient.
Fondée à la suite du massacre de Qibya en octobre 1953, l’AIPAC est devenue une machine politique capable de façonner la législation, de canaliser des milliards de dollars d’aides militaires vers Israël et même d’influer sur les résultats électoraux aux États-Unis. Son succès repose sur un savant mélange : l’obtention du soutien stratégique des deux partis, la mobilisation de la base militante et la présentation des intérêts d’Israël comme indissociables de ceux de l’Amérique.
Aux origines : gérer la crise de Qibya
Les racines de l’AIPAC plongent dans la gestion de crise. Après que l’armée israélienne, dirigée par Ariel Sharon, attaqua le village cisjordanien de Qibya — alors sous contrôle jordanien —, faisant 69 morts palestiniens, en majorité des femmes et des enfants, en représailles à la mort de trois Israéliens, les condamnations internationales se multiplièrent. Même les États-Unis soutinrent une résolution de l’ONU condamnant Israël.
Isaiah « Si » Kenen, ancien fonctionnaire du ministère israélien des Affaires étrangères spécialisé dans le lobbying, perçut la nécessité urgente de défendre l’image d’Israël. En 1954, il créa l’« American Zionist Committee for Public Affairs », rebaptisé en 1959 « American Israel Public Affairs Committee » (AIPAC).
Kenen mit en œuvre une stratégie en deux volets : d’abord, supprimer le mot « Israël » pour échapper au contrôle de la loi sur l’enregistrement des agents étrangers, l’administration Eisenhower considérant le Conseil sioniste américain comme un relais officiel d’Israël ; puis, remplacer « sioniste » par « Israël » afin d’élargir l’audience et présenter l’État hébreu comme un allié fiable des États-Unis en pleine guerre froide.
Les années 1970 et 1980 : du petit lobby au grand acteur
L’AIPAC gagna en influence sous la présidence de Morris Amitay (1974–1980), qui transforma une petite structure en une organisation de masse. Par la mobilisation populaire et la création de comités d’action politique (PACs), il mit en place un système permettant des contributions coordonnées aux candidats favorables à Israël.
Dans les années 1980, l’AIPAC pouvait lancer ou briser une carrière politique. En 1982, il contribua à la défaite du républicain Paul Findley, sanctionné pour avoir dialogué avec l’OLP. En 1984, ce fut le tour du sénateur Charles Percy, partisan de la vente d’avions AWACS à l’Arabie saoudite.
En parallèle, l’organisation s’appliqua à présenter Israël comme l’allié stratégique incontournable de Washington face à l’influence soviétique au Moyen-Orient. Ce discours trouva un écho lors de la guerre de 1973, lorsque l’AIPAC réussit à obtenir l’envoi en urgence d’armes américaines à Israël.
Le développement de l’organisation fut spectaculaire : son budget passa de 300 000 dollars en 1973 à 7 millions à la fin des années 1980 ; son personnel passa d’une dizaine d’employés à plus de cent, et 17 bureaux régionaux virent le jour, créant un réseau militant national.
Les années 1990 et 2000 : l’apogée de l’influence
Dans les années 1990, l’AIPAC devint l’arbitre du destin des candidats au Congrès. Elle obtint des aides records pour Israël et étouffa toute critique de sa politique.
En 1999, l’organisation fit adopter un plan d’aide de 26,7 milliards de dollars sur dix ans, étendu plus tard à 38 milliards jusqu’en 2026. Elle poussa également Washington à recourir systématiquement au veto au Conseil de sécurité contre les résolutions condamnant Israël, y compris celles dénonçant l’expansion des colonies.
Guerre d’Irak et scandales d’espionnage
En 2002, l’AIPAC soutint les néoconservateurs au Congrès pour donner à George W. Bush l’autorisation d’intervenir en Irak. Mais en 2005, deux de ses responsables — Steve Rosen et Keith Weissman — furent inculpés pour avoir reçu des informations classifiées d’un analyste du Pentagone. L’affaire fut abandonnée en 2009, mais elle révéla l’ampleur du réseau de l’AIPAC et son accès à des données sensibles.
Parallèlement, sa conférence annuelle s’imposa comme un passage obligé des dirigeants politiques américains. En 2016, Donald Trump et Hillary Clinton s’y exprimèrent tous deux, démontrant le poids bipartisan du lobby.
Les secrets de la réussite de l’AIPAC
L’AIPAC cultive avec soin son image d’espace bipartisan, se présentant comme le lieu de convergence des républicains et démocrates. Elle marginalise ses rivaux comme J Street, qu’elle accuse d’antisémitisme lorsqu’ils critiquent Israël.
Maîtresse dans l’art du financement politique, l’organisation franchit une étape en 2021 avec la création de son Super PAC. Lors des élections de 2022, elle dépensa 17 millions de dollars pour soutenir des candidats pro-israéliens au Congrès.
Elle s’appuie également sur des alliés évangéliques, tels que « Christians United for Israel », qui revendiquent environ sept millions de membres convaincus que le soutien à Israël est un devoir religieux.
Enfin, l’AIPAC a perfectionné son action dans les médias et l’éducation politique : elle finance des voyages de parlementaires en Israël, des programmes d’échange universitaire et investit massivement dans la construction d’un récit qui fusionne les intérêts américains et israéliens.
De la gestion de crise dans les années 1950 à sa domination politique actuelle, l’AIPAC est passée de l’ombre à une puissance incontournable. Sa capacité à sécuriser un soutien bipartisan, à mobiliser ses réseaux et à présenter la cause d’Israël comme celle de l’Amérique en a fait l’organisation de lobbying la plus influente de Washington — et un acteur clé de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient.
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