Ces derniers mois, la dette publique du Liban a de nouveau monopolisé le débat public. La polémique provient de chiffres ajoutés au bilan de l’État début 2023 par l’ancien gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé. Depuis, les questions se multiplient : l’État reconnaîtra-t-il et remboursera-t-il cette dette ? Quelle est la position du Fonds monétaire international (FMI) ? Et comment cela pourrait-il affecter la relation déjà tendue avec les détenteurs d’Eurobonds, dont beaucoup ont prêté à l’État sans savoir qu’un passif colossal avait été dissimulé sous des couches de « bricolages » financiers ?
Les milliards fantômes
La créance de la Banque du Liban sur l’État ne se limite pas aux 16,5 milliards de dollars ajoutés brutalement en février 2023. Un autre montant de 34,8 milliards a été discrètement inscrit dans les comptes en mai de la même année, sous la rubrique « ajustement de réévaluation ». À la fin du mandat de Salamé, en août 2023, ses quatre adjoints – Wassim Mansouri, Bachir Yakzan, Salim Chahine et Alexandre Mouradian – ont retiré ces deux postes du bilan bimensuel, qualifiant ce geste de « nettoyage comptable ».
Mais la controverse a ressurgi avec la nomination de Karim Souaid au poste de gouverneur. Le chiffre de 16,5 milliards est réapparu, tandis que le sort des 34,8 milliards reste incertain – une bombe financière potentielle pour l’État comme pour les déposants.
Pourquoi insister sur les 16,5 milliards ?
La Banque du Liban a réintroduit cette dette de 16,5 milliards de dollars dans son plan actuel de répartition des pertes. Elle a été classée parmi les « actifs », aux côtés de 3 milliards d’Eurobonds (dépréciés de 65 %) et de 2 milliards d’« opérations différées ». Il est aussi attendu que les « pertes de réévaluation du taux de change », inscrites par Salamé en mai 2023, réapparaissent également dans les comptes.
Au total, ces « actifs » pourraient atteindre 49 milliards de dollars. Mais, en face, figurent les dépôts des banques – de l’argent qui appartient en réalité aux déposants. Si ces montants sont annulés, banques et déposants subiront directement les pertes. S’ils sont maintenus, cela équivaudra à un sauvetage indirect du secteur bancaire – une approche que le FMI rejette catégoriquement. Le blocage demeure total.
Un choc de positions
Le chiffre de 16,5 milliards est désormais au cœur d’un bras de fer : d’un côté, le ministère des Finances et le FMI ; de l’autre, la Banque du Liban et les banques commerciales.
Le ministre des Finances, Yassine Jaber, estime que « l’État ne peut pas emprunter sans l’autorisation d’une loi votée par le Parlement » et qualifie ce montant d’invention de Riad Salamé pour embellir ses comptes. Reconnaître cette dette, prévient-il, pourrait exposer le Liban à des poursuites judiciaires de la part des détenteurs d’Eurobonds devant les tribunaux de New York, ceux-ci pouvant arguer d’une tromperie.
Le FMI va plus loin encore, soulignant que cet ajout aggrave le ratio dette/PIB, qui doit être ramené à 60 % au minimum pour assurer la « soutenabilité de la dette ». Le remboursement de cette dette, ajoute l’institution, compromettrait également la capacité future du Liban à honorer un éventuel prêt du FMI ainsi que d’autres financements liés au développement et à la reconstruction.
Les banques commerciales rétorquent, elles, que cette dette, détenue localement, ne doit pas être considérée comme « extérieure », même si elle est libellée en dollars. Elles estiment que la véritable dette extérieure (Eurobonds plus intérêts) s’élève à 25 milliards de dollars seulement, et non 45 milliards, une fois intégrées les pertes assumées par les banques et la Banque du Liban. Selon elles, reconnaître tout ou partie des 16,5 milliards ne met pas en péril la soutenabilité de la dette. Elles rappellent aussi que l’argent prêté par la Banque centrale au gouvernement n’était pas la propriété de l’État, mais provenait des banques – et donc des déposants.
L’option du remboursement partiel
Techniquement, l’État détient encore environ 8 milliards de dollars sur ses comptes auprès de la Banque du Liban. Les partisans de la reconnaissance de la dette estiment que cette somme pourrait être utilisée intelligemment pour en rembourser une partie, évitant ainsi d’imposer de nouveaux impôts et taxes aux citoyens.
Le compromis désormais avancé : rembourser au moins la moitié de la dette, soit environ 8,7 milliards de dollars. Les défenseurs de cette solution affirment qu’elle permettrait à l’État de faire preuve de responsabilité, de ne pas faire porter l’essentiel des pertes aux déposants, et de rassurer d’éventuels bailleurs de fonds sur la crédibilité future du Liban.
Une impasse jusqu’en 2026 ?
Peu de responsables croient cependant qu’un accord puisse intervenir rapidement. Comme beaucoup d’autres dossiers de réforme, celui-ci risque d’être repoussé jusqu’après les élections législatives de 2026 – si elles ont lieu. Si le scrutin venait à être encore une fois reporté, le Liban perdrait non seulement des mois, mais des années supplémentaires dans l’impasse politique, reproduisant le cycle de paralysie qui a déjà englouti les six dernières années.
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