La Banque mondiale a classé l’effondrement économique en cours au Liban, qui a débuté en 2019, parmi les crises les plus graves au monde depuis le milieu du XIXe siècle. Au cœur du problème, il ne s’agit pas seulement d’un effondrement financier, mais aussi d’une crise structurelle et politique. La crise révèle l’échec du modèle économique de l’après-guerre civile et la faiblesse d’un système politique fondé sur les quotas confessionnels, le clientélisme et le népotisme.
Une crise de gouvernance
L’implosion financière de 2019 et ses suites ne sont que des symptômes. Trois causes profondes apparaissent :
Premièrement, un système financier trompeur. Depuis les années 1990, le Liban a arrimé sa monnaie au dollar américain, attirant les capitaux grâce à des taux d’intérêt exorbitants reflétant le risque du pays, mais séduisant aussi les investisseurs, notamment la diaspora. Ces flux – en moyenne 3,1 milliards de dollars par an – ont servi à combler les déficits chroniques du budget et une dette publique toujours croissante.
Deuxièmement, une paralysie politique et un clientélisme généralisé. L’élite a utilisé la rhétorique confessionnelle pour exploiter les ressources de l’État et du secteur bancaire, tissant des réseaux de corruption et de patronage. Les infrastructures se sont dégradées, les finances publiques se sont détériorées et les services essentiels ont décliné.
Troisièmement, un refus obstiné des réformes. Depuis le début des années 2000, les gouvernements successifs ont ignoré les appels répétés de la communauté internationale – des conférences de Paris I, II et III jusqu’aux engagements de CEDRE en 2018. Même après le krach de 2019, la classe dirigeante a bloqué toute négociation et tout plan de réforme, de peur de voir ses responsabilités révélées et ses privilèges supprimés.
Des conséquences dévastatrices pour les citoyens
Le constat de la Banque mondiale n’est pas exagéré. Le coût humain et économique est catastrophique :
- Effondrement du PIB : le PIB nominal a chuté de plus de 50 % entre 2018 et 2021. La livre libanaise a perdu plus de 98 % de sa valeur, reléguant le pays du statut de revenu intermédiaire supérieur à celui de revenu intermédiaire inférieur. Le revenu par habitant est passé de 14 000 à 3 500 dollars.
- Pauvreté galopante : selon l’ESCWA, 82 % de la population vit désormais dans la pauvreté multidimensionnelle. Quelque 40 % des Libanais ne peuvent plus couvrir leurs besoins essentiels, laminant la classe moyenne et gonflant les rangs des pauvres.
- Effondrement des services publics : santé, éducation, électricité et salaires se sont effondrés, entraînant un exode massif de médecins, ingénieurs, universitaires et spécialistes des technologies – une fuite des cerveaux qui hypothèque la croissance future.
- Déplacements internes : incapables d’acheter carburant, médicaments ou nourriture, de nombreux foyers ont dû se déplacer, fragilisant encore leur résilience sociale et économique.
La voie à suivre
La route du redressement est claire, mais politiquement presque impossible.
Premièrement, un profond bouleversement structurel est indispensable. Les financements extérieurs – qu’ils proviennent de la diaspora, du FMI ou de pays amis – sans réformes de fond ne feraient que reporter la crise.
Deuxièmement, l’économie doit passer d’un modèle fondé sur l’endettement et les importations à un modèle productif et exportateur, ce qui exige une refonte institutionnelle et l’indépendance de la justice.
Troisièmement, la crise bancaire doit être réglée par une répartition équitable et transparente des pertes entre les secteurs public et privé, sans faire porter le fardeau aux déposants.
Quatrièmement, le facteur temps est crucial. Le blocage politique ne fera qu’alourdir le coût social et économique, et le Liban risque de perdre plus d’une décennie de capital humain qui pourrait ne jamais revenir.
Reconstruire le système
Un véritable changement exige de « démolir et reconstruire » l’économie pour bâtir un modèle productif tourné vers l’exportation. Cela implique : la restructuration de la finance publique et privée ; l’adoption de lois sur la régularisation financière et la restitution des dépôts ; l’instauration de contrôles de capitaux ; la publication des comptes de l’État sur les vingt-deux dernières années ; des audits judiciaires de la Banque du Liban, des ministères et des institutions publiques ; le démantèlement des cartels ; l’application stricte de la loi sur les marchés publics ; l’accès élargi au crédit pour les PME ; l’indépendance judiciaire ; et de véritables réformes anticorruption et budgétaires.
Conclusion
Depuis son indépendance vis-à-vis de la France, le Liban vit dans un équilibre précaire, oscillant au gré des vents régionaux et internationaux. Pour s’en sortir, ses dirigeants doivent élaborer une formule qui isole le pays des tempêtes extérieures, en inscrivant dans la Constitution une neutralité positive. Ce n’est qu’à cette condition que le Liban pourra espérer sortir de son cycle de crises et se reconstruire.
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