En reprenant librement les mots d’Al-Mutanabbi, on pourrait s’interroger sur la prévision financière annuelle la plus importante du Liban : « Budget, dans quel état reviens-tu cette année ? » À l’instar de ses prédécesseurs, le projet de budget 2026 est alourdi par les impôts et les taxes, dépourvu d’impact économique réel, amputé de nombreuses dépenses, déséquilibré entre les charges opérationnelles et les investissements, et déformé en matière de justice sociale.
Pour ceux qui jugeraient ces critiques exagérées, nous proposons une lecture posée du budget 2026 avec Amin Saleh, ancien président de l’Ordre des experts-comptables agréés au Liban et ancien directeur du Trésor au ministère des Finances. Son évaluation critique sera présentée en deux volets — une analyse qui dépasse la rhétorique médiatique du gouvernement, destinée à justifier une politique d’évitement face à des problèmes qu’il s’avère incapable de résoudre.
Un budget plus lourd pour les ménages
L’augmentation légère du budget — de 4,8 milliards de dollars en 2025 à 5,65 milliards en 2026 — est-elle réellement moins pesante sur le plan fiscal ?
Comme pour les précédents budgets, les impôts et les taxes demeurent la source de financement première, voire quasi exclusive. Pourtant, le projet ne comporte pas de tableaux de recettes actualisés, contrairement à ce qu’exige explicitement la loi de comptabilité publique, se contentant de données datant de 2021. De ce fait, les prévisions de recettes sont détachées de toute base sérieuse de vérification. Le projet table sur une hausse des revenus de 850 millions de dollars — un objectif ambitieux compte tenu de la conjoncture économique.
Cette progression des recettes proviendra-t-elle des impôts et des taxes ?
Oui. En l’absence de toute croissance notable du PIB ou de l’économie en général, ce sont bien les impôts et les taxes qui devront générer environ 61 000 milliards de livres libanaises. Conséquence : une pression accrue sur les ménages, les contraignant à réduire davantage leurs dépenses essentielles en matière d’alimentation, de santé, d’éducation et de besoins vitaux.
Rhétorique officielle contre réalité budgétaire
Le « budget équilibré » vanté par le gouvernement ne compense-t-il pas ce poids fiscal en évitant le recours à un financement extérieur ?
Pas vraiment. Malgré des mois de discours ministériels triomphalistes, le projet de budget ne fait état d’aucune recette exceptionnelle issue des nouveaux prêts — alors même que ces emprunts, assortis de leurs intérêts, viennent déjà alourdir les dépenses publiques. En réalité, le gouvernement a conclu plusieurs accords avec la Banque mondiale pour un montant dépassant 1 milliard de dollars, parmi lesquels :
- Un prêt de 250 millions de dollars pour le Fonds de reconstruction ;
- Un prêt de 200 millions de dollars en soutien à l’agriculture ;
- Un prêt de 250 millions de dollars pour renforcer et moderniser le secteur de l’énergie et de l’électricité ;
Auxquels s’ajoutent plusieurs prêts de moindre envergure encore en négociation.
Quel est l’intérêt d’augmenter les amendes et pénalités si le ministère des Finances multiplie les règlements transactionnels pour les annuler ?
La contradiction saute aux yeux. Le projet prévoit une multiplication par 25 des amendes, mais le ministère continue d’émettre, tous les trois ou quatre mois, des décrets de règlement qui réduisent ou annulent ces mêmes amendes. Cela alimente le soupçon que ces chiffres gonflés servent uniquement à maquiller les prévisions de recettes afin de présenter un budget « équilibré » sur le papier. Plus grave encore, le ministère persiste à ignorer son obligation légale d’annexer les comptes définitifs, seuls garants de la réalité des recettes effectivement perçues.
Vieilles habitudes, nouveaux problèmes
Cette approche est-elle récente ?
Non. Elle remonte à l’an 2000, lors de l’adoption de la loi sur les procédures fiscales. À l’époque, l’ancien Premier ministre Fouad Siniora avait promis de corriger le problème des amendes excessives, promesse restée lettre morte. En principe, les pénalités doivent dissuader des infractions. Mais lorsqu’elles deviennent trop lourdes, les contribuables finissent par refuser de payer à la fois l’impôt et l’amende. C’est pourquoi la plupart des pays fixent un plafond : les amendes doivent être dissuasives, non destructrices. Rien ne justifie donc une multiplication des pénalités par 25, suivie de réductions allant jusqu’à 90 % — voire 100 % certaines années.
L’État, premier contrevenant
Voilà tout le paradoxe : alors qu’il exige des citoyens le respect des lois fiscales, l’État libanais demeure lui-même le plus grand contrevenant — à la Constitution, aux règles de comptabilité publique et à l’obligation de publier les comptes définitifs et les tableaux de recettes.
La deuxième et dernière partie de cette analyse s’intéressera à la manière dont l’État a produit, dans des circonstances exceptionnelles, un budget qui n’a rien d’« ordinaire », truffé d’irrégularités fondamentales, certaines frôlant la falsification pure et simple.
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