Alors que le Liban traverse une crise financière et économique persistante, le secteur immobilier continue de se démarquer comme un espace d’investissement relativement attrayant. De nouvelles données publiées par l’Ordre des ingénieurs, citées dans le rapport hebdomadaire de la Banque Crédit Libanais, révèlent une nette hausse des permis de construire au cours du premier semestre de 2025. Mais cette envolée traduit-elle réellement une reprise économique durable ou s’agit-il d’une simple réaction conjoncturelle à l’instabilité du marché ?
Une croissance annuelle dépassant les 18 %
Selon les chiffres, les surfaces de construction autorisées en juin 2025 ont atteint environ 576 088 m² — en baisse par rapport aux 770 988 m² de mai, mais en hausse par rapport aux 614 356 m² d’avril. Sur l’ensemble du premier semestre, la surface totale autorisée a bondi de 18,51 %, atteignant 3,69 millions de m², contre 3,11 millions de m² à la même période en 2024.
Cette progression s’inscrit pourtant dans un contexte de crise économique aggravée, soulevant des interrogations sur les motivations des investisseurs et des promoteurs immobiliers, dans un climat marqué par l’effondrement de la livre libanaise, une bureaucratie pesante et un système bancaire paralysé.
Le Mont-Liban en tête — Beyrouth en première place pour l’investissement par permis
D’un point de vue géographique, la région du Mont-Liban arrive en tête en termes de nombre et de superficie totale des permis de construire, représentant 34,63 % du total national (1 278 086 m²), suivie du Liban-Nord (24,23 %), du Liban-Sud (19,48 %), puis de la Békaa, de Nabatiyé et enfin de Beyrouth.
Cependant, en matière de densité d’investissement par permis, Beyrouth se classe en première position avec une moyenne de 3 135 m² par permis, ce qui indique une orientation claire vers des projets de grande envergure ou à vocation haut de gamme. La Békaa suit avec 1 082 m², puis le Mont-Liban avec 1 057 m².
L’expert: une hausse temporaire, non un signe de reprise durable
L’expert immobilier Rony Bou Diab met en garde contre une lecture trop optimiste de ces chiffres. « Ces données traduisent une forme de couverture de risque de la part des investisseurs immobiliers, qui cherchent à préserver leur capital en le transformant en actifs tangibles — surtout dans un contexte de méfiance envers le secteur bancaire », explique-t-il.
Il précise que l’augmentation des permis ne signifie pas nécessairement qu’il existe une demande réelle pour des appartements ou des unités résidentielles. « Beaucoup de ces permis sont spéculatifs, dans l’attente de conditions plus favorables à la vente ou à la location », souligne-t-il, ajoutant que de nombreux projets autorisés restent à l’état de plans, faute de financements locaux ou d’investissements étrangers.
Bou Diab met en garde contre toute tentative de considérer cette dynamique comme une reprise globale. « Le secteur immobilier ne peut être dissocié de la réalité économique du pays, notamment du pouvoir d’achat des citoyens, du coût des matériaux de construction et de la difficulté quasi totale à obtenir des crédits bancaires. »
Boom immobilier ou préparation à l’après-crise ?
Les observateurs restent partagés. Certains interprètent cette hausse comme un regain de confiance dans certaines zones ou comme un moyen de réorienter des fonds gelés vers des projets immobiliers. D’autres craignent une flambée de construction non soutenable, qui pourrait se traduire par un surplus d’unités vides et un marché saturé — surtout en l’absence de stratégie nationale de logement et de planification urbaine encadrée.
En définitive, malgré des chiffres globalement positifs dans le domaine des permis de construire, une question centrale subsiste : s’agit-il vraiment d’un signe de reprise économique ? Ou simplement d’un repli stratégique vers l’immobilier, perçu comme valeur refuge en l’absence d’alternatives viables ?
La réponse dépendra des choix de politique financière, de la stabilité du contexte sécuritaire et politique, et de la capacité du pays à attirer les investissements, qu’ils soient locaux ou étrangers.