La nature a toujours été généreuse envers l’humanité. Pourtant, cette abondance a souvent poussé les humains à prendre sans mesure. Contrairement au dicton populaire : « Si ton bien-aimé est du miel, ne le lèche pas entièrement », l’homme moderne a tout consommé, jusqu’à menacer l’insecte même qui produit ce miel. Si cela continue, la célèbre mise en garde attribuée à Einstein — selon laquelle l’humanité disparaîtrait quatre ans après l’extinction des abeilles — pourrait bien devenir réalité plus vite que prévu.

L’importance des abeilles dépasse largement son miel. Ces insectes sont les pollinisateurs les plus efficaces de la planète, et ils sont directement responsables de la production d’environ 70 % de la nourriture que nous consommons à l’échelle mondiale. Pour souligner leur rôle vital, l’Organisation des Nations Unies a proclamé le 20 mai Journée mondiale des abeilles. Le thème de cette année, « Impliquez les jeunes pour découvrir les abeilles », rappelle combien ces insectes, inspirés par la nature, nourrissent l’humanité. Mais comme pour toutes les journées internationales, l’objectif dépasse la célébration : il s’agit de sensibiliser à l’importance des abeilles pour la sécurité alimentaire et la préservation des écosystèmes. Sans les abeilles, c’est bien plus que le miel que nous perdrions.

Un secteur apicole dynamique

L’apiculture au Liban reflète les tendances mondiales : un secteur plein de potentiel mais confronté à de nombreux défis. « Il y a toujours des gens qui quittent et d’autres qui rejoignent le métier », explique Hussein Qazmani, propriétaire d’une entreprise familiale qui commercialise du miel libanais à l’échelle locale et internationale. Les coûts élevés de production et le manque d’espace freinent certains, mais l’attachement au travail et à la nature permet de maintenir des chiffres stables : entre 6 000 et 8 000 apiculteurs recensés au Liban, avec environ 220 000 ruches. La production annuelle varie entre 1 500 et 3 500 tonnes, selon la pluviométrie et le couvert végétal.

Des défis de plus en plus nombreux

Les apiculteurs libanais font face à de nombreux défis, notamment climatiques. Des hivers secs en janvier et février, suivis de fortes pluies en mai, ont perturbé le cycle naturel. « L’hiver est devenu été, et l’été hiver », observe l’apicultrice Nahida Raslan Saleh. Résultat : la disparition du miellat sécrété par les pucerons du chêne, essentiel à la fabrication du miel de montagne libanais, a drastiquement réduit la production.

Et cette année ne semble guère meilleure. Le manque de précipitations a réduit la couverture végétale, aussi bien sur le littoral qu’à l’intérieur des terres. Il reste un espoir : les zones d’altitude comme le mont Hermon — ce « palais de la rosée » chanté par Fairouz — pourraient offrir un sursaut de production. « La rosée est aussi importante que la pluie », souligne Qazmani.

Des pesticides toxiques : un danger pour les abeilles et les humains

L’importation illégale de pesticides hautement toxiques, souvent non conformes aux normes de sécurité, est une autre menace. Les agriculteurs les mélangent ou les remplacent par des produits bon marché et nocifs, avec des conséquences graves : les abeilles meurent, les cultures sont polluées, et les consommateurs en paient le prix. « Cela augmente les maladies et les dépenses de santé », avertit Saleh. Le manque de sensibilisation et la faiblesse des services d’encadrement agricole aggravent la situation. Toutefois, l’arrivée d’un nouveau ministre de l’Agriculture et un contrôle plus strict des faux producteurs de miel sont perçus comme un signe d’espoir.

Béton et incendies aggravent la crise

L’expansion urbaine et les feux de forêt grignotent chaque année les habitats des abeilles, notamment au Liban. Ces phénomènes détruisent des milliers de mètres carrés de végétation, arbres fruitiers et fleurs sauvages — autant de ressources en moins pour les abeilles, ce qui réduit le rendement du miel et augmente les coûts de production. Une baisse du nombre d’abeilles entraîne une diminution des cultures, ce qui aggrave à son tour le déclin des pollinisateurs. C’est un cercle vicieux qui menace gravement la sécurité alimentaire mondiale.

Car les abeilles ne se contentent pas de polliniser 70 % de nos cultures. Elles améliorent la qualité et la diversité alimentaire tout en réduisant les coûts pour les agriculteurs. Selon l’ONU, la pollinisation artificielle coûte au moins 10 % de plus que le service naturel rendu par les abeilles. Et l’homme n’égale ni leur efficacité ni leur rentabilité.

Les nouvelles technologies, un danger inattendu

Le progrès technologique, notamment dans les télécommunications, comporte aussi des risques. Les ondes électromagnétiques produites par les infrastructures numériques désorientent les abeilles, les empêchant parfois de retrouver leurs ruches. Bien que certains titres alarmants annoncent une disparition massive, un rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) rappelle que l’effondrement des populations d’abeilles à l’échelle mondiale n’est pas une fatalité.

Des solutions durables et accessibles

Si l’urbanisation est difficile à contenir, des solutions existent pour lutter contre l’usage excessif de pesticides, les incendies de forêt et les effets du dérèglement climatique. « L’apiculture contribue directement à plusieurs Objectifs de Développement Durable de l’ONU à l’horizon 2030 », souligne Saleh, citant l’élimination de la pauvreté (ODD 1), la faim zéro (ODD 2), la santé et le bien-être (ODD 3), l’égalité entre les sexes (ODD 5), le travail décent (ODD 8) et l’innovation (ODD 9). Elle soutient aussi indirectement les autres objectifs.

Le chemin est long, mais il est tracé : protéger les abeilles, c’est nous protéger nous-mêmes.