La décision du président américain Donald Trump de lever les sanctions contre la Syrie a ravivé l’espoir d’un avenir social et économique prometteur pour le peuple syrien. Cette mesure devrait également avoir des répercussions positives à court et moyen terme pour les pays voisins. Cependant, sur le long terme, la Syrie pourrait devenir un concurrent économique redoutable pour le Liban, toujours englué dans une crise multidimensionnelle, notamment si les autorités libanaises continuent d’échouer à mettre en œuvre des réformes vitales.
L’ampleur de la crise économique libanaise a profondément marqué le tissu économique du pays, son système financier, ses secteurs bancaire et monétaire, et même sa structure sociale. Ces effets se sont aggravés dans un contexte de paralysie politique prolongée.
Concurrence économique à l’horizon
En dépit de l’élection d’un président souverain reconnu pour son intégrité et de la formation d’un nouveau gouvernement, les progrès restent lents. Les réformes économiques avancent à un rythme glacial, et le gouvernement n’a pas répondu aux exigences de la communauté internationale, compromettant ainsi la capacité du Liban à jouer un rôle économique régional significatif. Les piliers historiques de l’économie libanaise — comme le secteur bancaire ou son rôle de plateforme régionale pour le commerce et les services — se sont gravement détériorés. L’explosion du port de Beyrouth, la baisse des investissements et la dégradation des infrastructures n’ont fait qu’aggraver la situation.
Selon Trump, les sanctions économiques contre la Syrie ont été levées à la demande du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Cela ouvre une nouvelle ère pour la Syrie, dont l’avenir dépendra du rétablissement du monopole de la violence légitime par l’État et du soutien de trois acteurs régionaux clés : l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie. Résultat : une dynamique d’investissement prometteuse, susceptible de toucher presque tous les secteurs — des infrastructures et services au pétrole, à l’industrie et à l’agriculture.
Récemment, la Syrie a signé un accord de 800 millions de dollars avec les Émirats arabes unis pour réhabiliter le port de Tartous, concurrent sérieux du port de Beyrouth. La reconstruction de la Syrie devrait nécessiter plus de 400 milliards de dollars d’investissements — un chantier colossal qui pourrait remettre en question le rôle stratégique traditionnel du Liban dans l’économie régionale. Si des formes de coopération, de concurrence et d’interaction économique entre une Syrie en convalescence et un Liban en difficulté restent envisageables, la trajectoire syrienne pourrait peu à peu éclipser la position libanaise.
Des routes commerciales réinventées
Historiquement, le Liban servait de porte d’entrée au monde arabe, ses camions de transit et ses exportations (notamment de pétrole et de biens) traversant la Syrie, un pont terrestre stratégique vers des marchés comme la Jordanie, l’Irak et les pays du Golfe.
La levée des sanctions et la réhabilitation des routes commerciales syriennes permettront au Liban de retrouver l’accès aux marchés arabes, ce qui profiterait aux deux pays. Le Liban verra ses exportations augmenter, tandis que la Syrie générera des revenus grâce aux droits de transit et à la relance de son secteur du transport.
Cependant, cette coopération pourrait aussi entraîner une rude concurrence sur le plan des services logistiques les plus efficaces et les plus rentables. Le développement des ports-clés et des infrastructures frontalières sera déterminant pour l’issue de cette compétition imminente.
La course à la reconstruction
L’ampleur des besoins de reconstruction en Syrie ouvre une arène concurrentielle. En temps normal, les entreprises étrangères auraient sans doute choisi le Liban, voisin géographique immédiat de la Syrie, disposant d’un secteur bancaire solide et d’une infrastructure opérationnelle, comme base logistique pour soutenir la reconstruction.
Mais l’effondrement économique du Liban a changé la donne. Les entreprises libanaises de construction et d’ingénierie risquent désormais de se retrouver en concurrence directe avec des sociétés syriennes et d’autres acteurs régionaux. Leur réussite dépendra de leur capacité à obtenir des financements, à faire valoir leur expertise et à naviguer dans un environnement réglementaire complexe.
La remise en état des ports syriens réduira également progressivement le recours aux services portuaires libanais, en particulier ceux du port de Beyrouth, dont le développement au point mort continue de coûter des milliards à l’économie libanaise.
Coopération et rivalité dans l’énergie
Le Liban est confronté depuis longtemps à de nombreux défis pour assurer l’approvisionnement en électricité, notamment à cause du monopole exercé par Électricité du Liban (EDL). Des propositions avaient émergé pour importer du gaz d’Égypte afin d’alimenter les centrales libanaises, et de l’électricité de Jordanie via la Syrie. Mais les sanctions américaines et l’inaction des autorités libanaises ont gelé ces projets.
Aujourd’hui, avec la levée des sanctions, ces initiatives pourraient renaître, représentant un axe de coopération potentiellement bénéfique pour les deux pays.
Cela dit, une concurrence féroce se profile autour des pipelines pétroliers et gaziers susceptibles de relier le Golfe et l’Irak au Levant. L’Irak et la Syrie sont déjà en discussions pour rouvrir l’oléoduc Kirkouk-Banyas — un coup dur pour toute tentative de relance de la ligne vers la raffinerie de Tripoli au Liban.
Autre coup dur pour le Liban : des entreprises américaines pourraient bientôt entamer l’exploration pétrolière et gazière au large des côtes syriennes, permettant à la Syrie de prendre une longueur d’avance dans l’exploitation de ses ressources pour financer sa reconstruction.
Une attractivité touristique en mutation
Le Liban a longtemps été perçu comme une destination touristique phare de la région, reconnue pour ses paysages, sa vie nocturne animée et ses sites historiques. Ce charme a attiré de nombreux touristes au fil des ans.
Mais ce récit pourrait changer. À mesure que la Syrie se stabilise et se reconstruit, elle est bien placée pour redevenir une destination touristique de choix grâce à son riche patrimoine historique et culturel.
La main-d’œuvre syrienne
La main-d’œuvre syrienne a longtemps afflué vers le Liban, créant une dynamique mutuellement bénéfique. Mais avec la stabilisation de la Syrie, la concurrence pour attirer cette main-d’œuvre va s’intensifier, en particulier dans des secteurs comme la construction, l’agriculture, l’industrie et les services — des secteurs où le Liban dépend traditionnellement de 300 000 à 400 000 travailleurs syriens.
Qui gagnera la course économique ?
La Syrie ne connaîtra pas de véritable redressement économique tant que ses nouveaux dirigeants n’auront pas désarmé les milices, protégé les minorités et instauré une gouvernance inclusive. Quant au Liban, ses principaux défis résident dans la restauration du monopole de la force par l’État et la mise en œuvre de réformes structurelles profondes.
Le pays qui parviendra à relever ces défis en premier prendra l’avantage dans la course économique régionale.
Si la Syrie relève le défi tandis que le Liban flanche, elle deviendra un acteur économique régional de premier plan — un concurrent que le Liban aura du mal à affronter. Bien que la levée des sanctions américaines constitue une bouée de sauvetage pour l’économie syrienne, elle ne transformera pas instantanément la Syrie en une puissance régionale dominante.
En attendant, le Liban n’a d’autre choix que d'exécuter ses réformes — et de le faire rapidement.